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a encore la force de rester debout. À Souvigny, saint Jean et une sainte femme ont pris chacun une des mains de la Vierge, mais leurs regards sont tournés vers Jésus, et rien ne les distrait de la pensée commune.

C’est évidemment la figure de la Vierge qui offrait aux artistes le plus de difficultés. Après avoir exprimé sur le visage des vieillards, de saint Jean, des saintes femmes, toutes les nuances de la douleur, ils devaient encore faire lire, sur le visage de la mère, la douleur suprême. On dirait qu’ils sont tentés quelquefois de cacher sa figure sous un voile. Peu s’en faut qu’ils n’avouent, comme Timanthe, l’impuissance de leur art. Ce fut une tradition, dans l’école bourguignonne, de dissimuler le visage de la Vierge dans l’ombre du manteau relevé sur la tête. Cela est très sensible à Souvigny, à Tonnerre, à Avignon. On retrouve cette pratique, moins franchement avouée, dans d’autres écoles. Cette cagoule de pleureuse, ce visage qui s’enfonce dans la nuit, donnent à la Vierge un aspect tragique. La grande Vierge sombre d’Avignon a une sorte de poésie funèbre. Pourtant il faut admirer davantage la loyauté du maître de Solesmes qui ne dissimule rien du visage de la Vierge, et sait faire lire sur ses traits douloureux qu’elle est la mère.

Les Saints-Sépulcres sont le sujet favori d’un âge voué à la méditation de la Passion du Christ et de la Passion de la Vierge. C’est dans les dernières années du XVe siècle, et dans les premières du XVIe, qu’on les voit se multiplier. Malgré les destructions des guerres et des révolutions, il en reste encore un grand nombre. Mais une statistique complète, où figureraient les œuvres qui ont disparu, donnerait des résultats surprenans.

C’est l’époque où l’on rencontre dans les livres d’Heures une « Oraison au Saint-Sépulcre. » Il est évident que la foule aimait ces grandes figures touchantes et un peu effrayantes. On les mettait toujours dans une chapelle sombre ou dans une crypte. Dans ce demi-jour, elles semblaient vivre et respirer. Agenouillé dans l’ombre, le fidèle perdait la notion de l’espace et du temps, il était à Jérusalem, dans le jardin de Joseph d’Arimathie, et il voyait de ses yeux les disciples ensevelir le maître à l’heure du crépuscule. Quelques-uns de ces saints sépulcres attiraient particulièrement la foule : ce n’étaient pas toujours les plus beaux, mais ceux qu’enveloppait le plus d’ombre.

Les Saints-Sépulcres étaient donnés par de riches bourgeois,