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universel des libres penseurs acclamait le projet, à la suite d’un rapport de M. Ismaël Duplessis ; au nom des positivistes, le docteur Robinet faisait appel aux souscripteurs ; et M. Joseph Fabre, député républicain de l’Aveyron, suppliait que la fête de Jeanne d’Arc devînt la fête annuelle du patriotisme. La mauvaise humeur de Jean Macé et l’hostilité formelle des loges maçonniques enlevèrent à Jeanne d’Arc ce surcroît de gloire, dont au reste elle n’avait nul besoin. Mais, quelques années durant, la République Française, émule de la cité antique, avait tenté d’inaugurer une façon de culte des héros nationaux ; et la singularité même de ces improvisations, dont parfois on ne dissimulait pas la portée anticonfessionnelle, marquait du moins un certain besoin d’afficher officiellement, au regard des Français et de l’étranger, le culte des gloires françaises. J’ose croire que beaucoup d’instituteurs auraient aimé ces exhibitions ; le rôle d’acolytes, et même de pontifes, qu’ils auraient pu y jouer, aurait fait à ces braves gens un naïf plaisir.

Il leur restait, du moins, pour dépenser la noble plénitude de leur zèle, les lectures du soir, faites en présence des habitans de la commune. M. Buisson commanda une enquête sur le genre de livres qu’aimaient les populations : partout, ce furent des lectures patriotiques qu’on désira. Nombreux étaient les instituteurs qui empruntaient à M. Mézières, à Francisque Sarcey, à M. Paul Déroulède, des souvenirs de la guerre ou du siège ; et ces réunions du soir ressemblaient parfois à je ne sais quelle veillée des armes, dans laquelle la voix d’un maître d’école symbolisait celle même de la patrie.

La jeune école primaire entourait et soutenait la France endolorie, comme des âmes bien nées entourent et soutiennent un deuil ; elle avait pour la France des raffinemens d’hommage, des délicatesses de dévouement, parfois même des enfantillages d’amour ; elle était nationale avec jalousie, patriote avec lièvre ; et le péril d’être réputée chauvine n’avait rien qui l’alarmât. Elle professait et enseignait la foi en la patrie, non point comme une notion intellectuelle, mais comme une vie, et volontiers elle eût traité de malheureux ceux d’entre ses écoliers dont la connaissance, comme dit Bossuet à propos d’un autre Credo, ne se fût point tournée à aimer. Il ne semblait pas, alors, que l’exubérance des sentimens patriotiques méritât d’être dépréciée, que leur ferveur méritât d’être contenue. « On prononcera le mot de