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dernier mot de l’Évangile. Au fond, ce qu’ils ont voulu glorifier, ce n’est pas la souffrance, mais l’amour. Car, ce qu’ils nous montrent, c’est la souffrance d’un Dieu qui meurt pour nous. La souffrance n’a donc de sens que quand elle est acceptée avec amour, quand elle se transfigure en amour : « aimer » reste au XVe comme au XIIIe siècle le suprême enseignement de l’art chrétien.

L’amour, en effet, se mêle à la souffrance dans les œuvres des plus grands. Certes tous leurs Christs assis ne sont pas des chefs-d’œuvre, mais il n’en est guère qui ne soient émouvans. Il n’y a, pour en être touché, qu’à les regarder avec sympathie. La tête de pierre peinte, acquise récemment par le Louvre, est l’unique débris d’un Christ assis. C’est une des plus belles œuvres de ce genre qu’on puisse citer. Les joues sont creuses, les yeux gonflés se cernent de meurtrissures verdâtres ; le front, où s’enfoncent les épines, est rouge de sang. Ce serait la tête d’un pauvre hère, à qui on vient d’appliquer la question, et que l’on a presque tué, si le regard n’avait tant de douceur, et si la bouche entr’ouverte ne laissait s’échapper un soupir de résignation. À ces signes, le Dieu caché se révèle.

À Saint-Nizier de Troyes, un Christ assis, intact celui-là, est digne d’être cité parmi les plus pathétiques. La couronne d’épines a été si profondément enfoncée dans sa tête qu’elle ressemble à un turban. Les cheveux et la barbe forment de lourdes masses raidies par le sang coagulé. Les yeux expriment une sorte d’étonnement douloureux. Ce Dieu avait beau tout savoir et tout prévoir, il n’avait pas, semble-t-il, imaginé tant de férocité chez les fils d’Adam. Mais, en même temps, la tête, qui est restée droite, l’attitude, qui demeure ferme, disent la volonté de souffrir jusqu’au bout et d’accomplir le sacrifice. Je n’ai jamais rencontré de Christ assis qui puisse rivaliser avec celui-là ; mais la France est encore si mal connue que des œuvres de cette beauté peuvent demeurer cachées dans des églises de village.


IV


Ce n’est pas seulement la Passion de Jésus-Christ que les artistes du moyen âge représentent avec prédilection, c’est aussi la Passion de sa mère. L’idée d’une sorte de Passion de la Vierge, parallèle à celle de son fils, est une idée favorite des mystiques.