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cifié, la plus émouvante que l’art ait imaginée, sera remplacée, sur la croix, par une sorte de demi-dieu antique, un Prométhée aux muscles saillans, qui nous viendra, avec tant d’autres choses, de l’Italie.

Mais ce n’est pas le Christ en croix qui est l’œuvre la plus originale de nos artistes. Ils ont su créer une figure nouvelle, qui n’appartient qu’à eux, et qui est comme le résumé douloureux de toute la Passion.

Jésus, nu, épuisé, est assis sur un tertre. Ses pieds et ses mains sont liés avec des cordes. La couronne d’épines déchire son front, et ce qui lui reste de sang coule avec lenteur. Il semble attendre, et une tristesse profonde emplit ses yeux qui ont à peine la force de s’ouvrir.

Qui n’a rencontré, en parcourant la France, cette statue tragique ? Mais le sens des œuvres du passé est si complètement aboli chez nous, que je n’ai jamais vu cette figure désignée sous son véritable nom. En tout lieu, on l’appelle un Ecce homo, et parfois une inscription accrédite cette erreur. Car l’erreur est manifeste. Sans être très fréquente, la scène de l’Ecce homo se rencontre plus d’une fois dans l’art de la fin du moyen âge. Or le Christ y est conçu tout autrement : il s’offre au peuple debout, revêtu de la pourpre dérisoire, et souvent même il tient à la main le sceptre de roseau. Telle n’est pas la statue dont nous parlons. Elle représente le Christ assis, dépouillé de son manteau, les mains liées. C’est donc un autre moment de la Passion que l’artiste a choisi, mais lequel ?

Une particularité m’a averti d’abord que la scène ne saurait se passer dans le prétoire. Aux pieds du Christ assis, à Salives, dans la Côte-d’Or et à Saint-Pourcain, dans l’Allier, on remarque une tête de mort. Or, la tête de mort est, dans la langue de l’art religieux, une sorte d’hiéroglyphe qui désigne le Calvaire. Nous pressentons déjà que l’artiste n’a pas voulu nous montrer le commencement, mais la fin de la Passion. Et, en effet, un bas-relief de Guerbigny, dans la Somme, nous prouve que c’est bien sur le roc du Calvaire que Jésus est assis. Car, derrière lui se dresse la croix, et, près de lui, se voit la robe qu’on vient de lui arracher, et, sur la robe, les dés. Une fois prévenu, on trouvera facilement d’autres preuves. Un bas-relief de Saint-Urbain de Troyes représente les épisodes du Calvaire. Or, avant la crucifixion, on aperçoit Jésus, assis, les mains liées, couronné d’épines,