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très bonne heure, disait la voix respectée du pédagogue Marion, l’on peut parler aux enfans de la patrie, mettre en activité dans ces jeunes âmes des sentimens déjà virils. » L’instituteur devait rendre éloquentes les murailles mêmes de la salle de classe : Charles Bigot réclamait qu’on y étalât, sous les yeux des enfans, des images voyantes, attachantes, représentant de beaux exemples de valeur, ou faisant resplendir les uniformes de nos soldats et de nos marins. Il demandait encore qu’il y eût dans chaque école un drapeau qui accompagnerait la classe, et que les meilleurs élèves auraient l’honneur de porter. « Jamais avant ce temps, écrivait en 1883 l’inspecteur d’Académie de la Manche, on ne fut plus vivement préoccupé de transformer en un sentiment réfléchi l’instinct patriotique, et en un culte raisonné, et consenti l’amour à demi conscient que la masse des hommes ressent vaguement pour la patrie. » Ainsi l’instituteur devait pratiquer sur l’âme des enfans une sorte de maïeutique et leur donner pleine conscience de ce patriotisme qu’ils portaient naturellement en eux ; et s’il est vrai que de bonne heure l’écho berceur de la parole des ancêtres dise au petit Français ce qu’est la France, l’instituteur devait prolonger cet écho, le commenter, en rendre les résonances plus fortes et plus claires, plus impérieuses aussi.

À cette belle tâche, on voyait certains maîtres dépenser toute l’ingéniosité de leur cœur : ils trouvaient pour l’éducation patriotique des procédés d’une originalité charmante. On en citait un, entre tant d’autres, qui, pour graver dans l’esprit de ses petits élèves l’histoire des vicissitudes de la patrie, marquait en lettres rouges, sur les murs de sa classe, l’anniversaire de Bouvines ou de Valmy, d’Austerlitz ou d’Iéna, en lettres noires l’anniversaire de Rosbach ou de Waterloo, et qui, suivant que les journées avaient été propices ou mauvaises pour la France, déployait le drapeau de l’école ou bien le mettait en berne. Ainsi tenus en haleine, ainsi dressés à attacher leur souffle aux péripéties de nos armes, les enfans étaient conquis par je ne sais quelle obsession de la gloire française. « N’apprenons pas à nos fils la haine, disait Charles Bigot ; mais quand on nous hait ailleurs, ne le leur dissimulons pas non plus. » On mettait dans ces âmes, toutes fraîches et toutes neuves, la sensation du péril national ; on les rendait chatouilleuses à l’endroit de l’honneur français.

C’est à l’heure de la leçon d’histoire, surtout, que le