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qui vous était connue, de sa vie dont vous pouvez rendre témoignage à Dieu lui-même, vous avez le même espoir, la même confiance que nous. Emile était plus près de Dieu que bien des cœurs qui s’inquiètent du sort de cette âme vraiment juste. Notre ville doit être dans le deuil. J’éprouve un bonheur inouï à penser aux regrets qu’il laisse.

C’est une bien grande perte ; chacun la sentira à sa manière. Notre Emile était un de ces hommes dont la vie importe à beaucoup, et qui, par l’unique autorité de leur esprit et de leur conduite, deviennent nécessaires à tous ceux qui les connaissent…

… Adieu, mes regards sont toujours du côté de la France. Vous m’êtes présens en tout temps et partout. Mon ami, mort, voyage avec moi, et son esprit m’accompagne à travers tout ce pays que nous devions voir ensemble. Pauvre cher mort I — L’éternel repos ! — Ne le plaignons pas, non, non, vraiment, ne le plaignons pas, mais aimons-le toujours.

Encore adieu, mon amie, dites pour moi, à tous les vôtres, que j’ai pleuré avec eux l’ami qui m’était comme un frère…

A vous, votre ami.

EUGENE.


A Mademoiselle Lilia Beltrémieux.


Constantine, 21 février 1848.

… Votre souvenir, mon amie, la pensée de ce que vous souffrez, vous, votre sœur et tous les vôtres, ne m’a pas abandonné un seul instant à travers tous les accidens de mon voyage, et quelques lieues de plus entre nous ne font pas que je puisse oublier…

Nous monterons ensemble dans cette vieille chambre des souvenirs. Vous savez bien que ma jeunesse aussi s’y est en partie passée ! Les heures les plus actives peut-être de toute ma vie, les mieux remplies, pas toujours les plus heureuses, mais les plus regrettables, je les ai passées là dans ces longs tête-à-tête avec cette figure aimée. Que n’ai-je pas rêvé, que n’ai-je pas conçu, que n’ai-je pas appris sous l’inspiration de cet esprit qui fut toujours le maître, le guide et souvent le promoteur du mien ?… Vous n’ignorez pas les forces qu’on puise dans cette association complète de deux volontés ; aussi ce que je dois à