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près, qu’à la vie intérieure du jeune homme : on en a écarté de parti pris tout le reste, notamment les développemens artistiques et les récits de voyage. Nous bornons aux indications essentielles pour la clarté du texte le bref commentaire dont il est accompagné.

Nous sommes en 1842. Eugène Fromentin vient de quitter Paris. En compagnie de son frère Charles et d’Emile Beltrémieux, il rentre à La Rochelle pour y passer les vacances dans sa famille. Les trois jeunes gens absorbés dans leurs méditations, le voyage en diligence a été triste. « Je me suis désengourdi deux ou trois heures pour lire du Musset, écrit. Eugène ; j’ai rêyassé, essayant vainement de rimailler. »


A Paul Bataillard.


Saint-Maurice, 8 septembre 1842.

Mon bon Paul… Nous voilà donc installés dans notre pauvre Saint-Maurice. Vous en connaissez la physionomie ; rien n’est changé d’aspect depuis trois ans[1], sinon que les tilleuls ont été taillés par la tête au printemps dernier, ce qui leur ôte un grand charme et m’attriste beaucoup, parce que les rouge-gorges ne pourront plus venir s’y percher comme autrefois pendant l’automne. Nos domestiques sont les mêmes, notre chien de chasse est le même.

Dieu merci, je retrouve chaque année les personnes et les choses à la même place et dans le même état. Tout est si méthodiquement réglé chez moi, les habitudes changent si peu, et les années se ressemblent si bien, vues du fond de notre petit intérieur, qu’on ne s’aperçoit presque pas de leur succession. Je ne doute pas, mon ami, que je ne doive à cette influence affectionnée et longtemps subie, du statu quo domestique, cet amour du repos qui fait le fond de mon caractère et qui, s’il a quelques avantages, a des effets funestes. Je serais plus ardent en politique, soyez-en sûr, si je n’avais pas le souvenir et le spectacle permanent de ce petit état monarchique que mon père administre en chef de famille et qu’il tient dans un si pacifique équilibre. Les influences de l’éducation sont énormes ; c’est une

  1. Bataillard avait passé à Saint-Maurice, chez son ami, les vacances de 1840.