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sagacité habituelle, avait compris l’importance pour nous de l’échange offert par l’Allemagne. On devine facilement son émotion en jetant les yeux sur le rapport qui lui était transmis par le général Le Flô. Si ses idées personnelles sur le rôle de Belfort, telles que nous les avons exposées, étaient combattues dans la Commission militaire, il pouvait craindre que la Commission parlementaire ne se laissât influencer à son tour, et qu’il ne pût ensuite qu’avec beaucoup de peine faire passer ses convictions dans l’esprit des membres de l’Assemblée nationale. L’éventualité d’un retour au rayon de 5 ou de 7 kilomètres, qui paralyserait l’action de la forteresse, et celle de la rupture des négociations qui nous rejetterait dans un inconnu plein d’incertitudes et d’angoisses, lui apparurent menaçantes. Il invita la Commission à délibérer de nouveau.

Les généraux de Chabaud-Latour et Fournier rectifièrent quelques-unes de leurs premières appréciations trop absolues, ce qui les amena à se rallier à peu près à la manière de voir du chef du pouvoir exécutif ; mais le général Chareton et le colonel Laussedat maintinrent leurs avis antérieurs. Le général de Chabaud-Latour décida alors que la Commission s’en tiendrait à l’opinion tout d’abord exprimée, sauf à chacun des deux membres députés[1] à donner à la tribune les explications jugées nécessaires.

L’exposé des motifs dont M. Jules Favre accompagna le dépôt qu’il fit, sur le bureau de l’Assemblée nationale, du traité de paix du 10 mai, ne trancha pas la question de l’échange, et quelques autres d’importance secondaire, mais le vicomte de Meaux, dans son patriotique rapport rédigé au nom de la Commission parlementaire, proposa d’accepter cet échange et de ratifier le traité.

Les débats du 18 mai, à l’Assemblée nationale, durèrent six heures, et portèrent principalement sur l’échange. Le général Chareton, se fondant sur ce que le traité assurait aux Allemands la possession de tous les passages des Vosges, en conclut que Belfort n’était pas plus une position offensive qu’une position défensive, et qu’on devait se contenter du rayon de 7 kilomètres et repousser l’échange.

M. Thiers lui succéda à la tribune. Après avoir rappelé les angoisses qui l’avaient étreint, quand M. de Bismarck lui demanda

  1. Les généraux de Chabaud-Latour et Chareton étaient membres de l’Assemblée nationale.