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l’instituteur primaire le vrai vainqueur de Sedan complétait admirablement la théorie un peu candide d’après laquelle la multiplication des écoles devait être la panacée des temps futurs. En vue même des guerres prochaines, il nous fallait des écoles primaires, et beaucoup ; et non seulement pour conjurer le vice, non seulement pour conjurer le crime, non seulement pour conjurer la « réaction, » mais pour conjurer, même, de nouvelles détresses nationales, on réclamait des instituteurs.

Entre 1871 et 1880, l’élaboration des projets scolaires apparaissait aux hommes de gauche comme un acte capital, — et presque le plus urgent, — de notre œuvre de relèvement. Le vieux Tyrtée, enflammant les gamins Spartiates au combat pour la patrie, était alors un personnage assez populaire : à l’image de Sparte, la République devait et voulait forger les âmes des petits Français. La loi scolaire de 1882, celle de 1886, sanctionnèrent cette volonté. Elles furent à certains égards, par le congé qu’elles signifièrent à l’« Ignorantin, » des manifestations philosophiques ; mais à côté de l’« idée laïque, » une pensée nationale inspirait le vote de ces lois ; et l’on pourrait soutenir et prouver, en ce qui regarde l’« idée laïque » elle-même, que l’un des argumens dont elle se servait alors contre l’Eglise, contre les institutions de l’Eglise et contre l’enseignement donné par l’Eglise, était tiré du caractère supra-national qu’affecte l’établissement catholique et de l’incompatibilité qu’on croyait voir entre l’universalité de l’Eglise et l’exclusivisme de la patrie.

« Il n’y aura jamais trop de fêtes scolaires de gymnastique, proclamait à Roubaix, en 1887, le directeur de l’enseignement primaire, pour éveiller dans la jeunesse l’amour de la patrie, pour y développer l’esprit militaire et patriotique, inséparable de l’esprit républicain. » Cet orateur officiel n’était autre que M. Ferdinand Buisson. Moins de vingt ans avant, dans un congrès suisse de la paix, il avait stigmatisé la « livrée » du soldat ; moins de vingt ans après, sous sa présidence, le congrès nîmois de la paix devait célébrer le « courage » de ceux qui se refusent à porter les armes : les sentimens traduits dans le discours de Roubaix ne furent donc qu’un épisode dans une vie très diversement remplie. Mais si nous attachons à cet épisode plus d’importance que ne le ferait sans doute M. Buisson lui-même, c’est parce qu’en 1887 il était essentiellement un homme « représentatif ; » c’est parce que l’enseignement primaire, dont Jules