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Nous serions porté à le croire, et le passage suivant du discours prononcé le 12 mai au Reichstag par M. de Bismarck, c’est-à-dire quarante-huit heures après la conclusion du traité de paix, n’est pas fait pour nous en dissuader : « En prenant le mot rayon strictement avec l’acception qu’on lui donne d’ordinaire en français dans le langage officiel, nous étions autorisés à le comprendre comme signifiant le rayon des servitudes militaires, c’est-à-dire comme ayant une étendue de 360 mètres à mesurer à partir du pied des fortifications. Cependant, il n’était pas douteux qu’une interprétation si rigoureuse du mot n’avait pas été la base de nos conventions préliminaires. » Négliger un moyen dont on se croit autorisé à se servir, quand, habituellement, on ne se montre pas difficile dans le choix de ceux qu’on emploie, est déjà chose extraordinaire ; mais, ce qui l’est encore davantage, c’est de se défendre d’y avoir recouru, alors qu’on n’a pas à craindre d’en être accusé.

Fidèle à la mission qu’il avait reçue, M. Gustave Renault avait attiré de bonne heure l’attention des commissaires des deux nations sur la frontière que la nature elle-même semblait avoir tracée, au Nord et à l’Est de Belfort, par les lignes de partage absolument identiques des eaux et des langues. Les territoires versant leurs eaux dans le Rhin et dans la Saône étaient, respectivement, de langue allemande et de langue française. Par un heureux hasard, cette circonstance géographique avait surtout frappé les Allemands, mais ni eux ni les commissaires français ne semblaient, alors, se préoccuper de l’importance stratégique qu’une telle extension de territoire pouvait donner à la place ; il est plus que probable que si nos commissaires avaient seulement fait mine d’y attacher quelque prix, les Allemands se seraient obstinés à nous la refuser.

À ce moment, le gouvernement lui-même ne parut pas s’occuper directement de cette question. En effet, dans le livre du colonel Laussedat, on ne voit intervenir M. Jules Favre que pour demander, sans aucune chance de succès, la rétrocession de Guebwiller et de Mulhouse pour débarrasser l’industrie allemande d’une concurrence gênante. Cette proposition fut probablement de celles qui amenèrent M. de Bismarck à se plaindre que les négociateurs français cherchaient moins à assurer la paix définitive qu’à modifier les conventions préliminaires dans un sens favorable aux intérêts dont ils avaient la défense ; il est