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surnaturelle, qui s’impose manifestement du dehors à l’individu. La conscience individuelle de l’enfant n’aurait jamais deviné les faits « révélés d’en haut : » la religion positive lui est alors transmise sous forme d’une « donnée. » En est-il de même pour la morale ? Assimiler celle-ci à la religion, c’est oublier que celle-ci est un ensemble de croyances et de rites que l’individu n’a pas faits. Encore faut-il que l’individu accepte la tradition religieuse, et, s’il l’accepte, c’est qu’elle répond à des besoins qu’il éprouve personnellement : besoin d’un réconfort devant l’inconnu dont il a peur, besoin de se mettre à l’abri de puissances extérieures dont il ne comprend ni la nature ni l’origine. Un brahmane donne à un Hindou une amulette ; un prêtre persan dit : « Incline-toi devant le soleil, » ou : « Danse devant la lune ; on a toujours fait cela et le moyen est infaillible pour n’être pas victime de la colère des esprits. » L’Oriental se conformera tout naturellement à la tradition religieuse. Les positivistes insinuent que le Dieu même de Socrate et de Platon est uniquement explicable par l’histoire des fétiches et des tabous. Est-ce bien certain ? N’y a-t-il dans la constitution psychologique de l’esprit humain, indépendamment des folklores et de l’histoire des religions, absolument rien qui engendre l’idée, légitime ou non, d’une cause inconditionnelle, d’un principe quelconque des choses, d’une raison de ce qui est ? Tout n’est-il, dans les théodicées, fût-ce celle d’un Leibnitz, que folie et terreur puérile ? Il est permis de croire que l’idée d’infini et celle de parfait, quelque objectivité qu’on leur accorde ou leur refuse, sont autre chose que la peur nerveuse du sauvage devant le tonnerre ou le culte intéressé de l’Annamite pour Monseigneur le tigre. De même pour l’idée du bien moral. « La science des mœurs » prétend expliquer par une série de superstitions anciennes la croyance à une moralité et à une raison quelconque ; pour notre part, nous pensons que la psychologie actuelle suffit déjà pour nous faire comprendre qu’un être intelligent, auquel son intelligence permet de se mettre à la place des autres êtres, se considère naturellement comme supérieur à la brute, comme supérieur à tout être inintelligent et insociable. D’autre part, la sociologie la plus élémentaire nous montre qu’il y a des conditions de vie en commun et de solidarité, conditions tellement évidentes que tout individu vivant avec d’autres les comprend sans avoir besoin d’être initié aux arcanes de l’histoire des mœurs. Les animaux