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ne pas faire de faux en écriture, de ne pas fuir en emportant la caisse, de ne pas condamner du coup au désespoir et peut-être au suicide des hommes qui vous ont confié leurs économies ? Je le répète, on serait heureux de savoir ce qu’il y a de si antédiluvien dans notre morale, et comment tous les « devoirs » qu’elle prescrit restent inexplicables jusqu’au moment où les folkloristes, les philologues, les archéologues, les sociologues et toutes les variétés de logues, — sauf les psychologues, que l’on écarte, — nous auront, à grand renfort d’érudition historique, rendu compte de ces étonnantes pressions sociales dont la conscience individuelle ignore les motifs. Un enfant, il est vrai, croirait trouver ces motifs sans trop de peine ; à plus forte raison ces « idéologues » qu’on nomme les philosophes et psychologues ; mais il faut se délier des raisons simples. Gardons-nous de croire, par exemple, que, si on bâtit des maisons avec des portes à serrure dont la loi défend la violation, c’est pour n’être pas injustement assassiné et dépouillé de ce qu’on a eu grand’peine à acquérir par son travail ; que, si on punit ceux qui ne respectent pas une enfant de dix ou onze ans, c’est pur un sentiment des intérêts de l’enfance, des intérêts de la race entière, peut-être même par un respect (plus ou moins superstitieux aux yeux des sociologues) de la personnalité humaine dans l’enfant, de la mère future dans la petite fille. Et certes, nous convenons que tous ces sentimens ont bien une histoire, une histoire empirique, sociologique même ; est-ce une raison pour conclure qu’ils sont d’insondables mystères psychologiques et moraux ? « Les Chinois, nous dit-on encore, savent dans le plus petit détail ce que le culte des ancêtres exige d’eux dans chaque circonstance de la vie, mais ils n’en ont pas la science, et cette science qui leur manque, un savant européen nous la donne. » M. Lévy-Bruhl veut dire que le savant européen explique historiquement par quels degrés le culte des ancêtres en est venu à telles ou telles pratiques religieuses dont, au premier aspect, on ne saurait comprendre la raison. Mais, répondrons-nous, ce détail des pratiques religieuses n’est nullement ce qui importe. Le Chinois comprend fort bien sans cela qu’on doit aimer ses parens : les parens morts, d’après la croyance traditionnelle en Chine, persécutent avec justice les vivans ingrats qui ne leur rendent pas le culte obligé.

Que ce soit en Chine ou en Europe, si un fils, en un moment d’irritation, frappe ou tue la mère qui lui a prodigué ses soins,