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« Quelque savans et habiles que vous soyez, disait Savonarole aux artistes florentins, la véritable beauté est absente de vos œuvres : cette beauté qui est fuite, avant tout, de lumière, el qui sait unir harmonieusement l’âme et le corps de l’homme, pour y rendre visible à nos yeux le reflet divin ! » Car on s’est aperçu aussi que Savonarole, en fin de compte, et malgré la ferveur de son christianisme, n’a nullement été l’iconoclaste fanatique qu’on avait supposé, et que, bien loin de vouloir détruire les belles œuvres d’art, peu d’hommes ont aussi passionnément travaillé à en susciter de nouvelles, pour la gloire de Dieu.

Mais si l’art de Florence, dans son ensemble, mérite les reproches qu’il a reçus de Savonarole et du P. della Valle, et si, malheureusement les « poètes » y sont rares, c’est cependant de lui que sont sorties quelques-unes des œuvres les plus profondément poétiques de toute la peinture. Par cela même que l’éducation artistique, à Florence, était plus solide que nulle autre part, plus savante, plus habituée à l’observation scrupuleuse de la réalité, il a suffi qu’un poète surgît, dans la ville de Dante, pour qu’aussitôt son rêve se trouvât muni des moyens d’expression les plus variés et les plus parfaits. Tel fut le cas, notamment, pour le plus grand poète d’entre tous les peintres, Fra Angelico. Longtemps les critiques d’art « distingués ». ont fait mine de le dédaigner, faute de trouver chez lui la « science » qui les émerveillait chez un Castagno ; et ses admirateurs, d’autre part, l’ont loué d’avoir vécu hors du monde, étranger aux soucis vulgaires du métier de peintre : mais, là encore, on reconnaît aujourd’hui qu’on s’était trompé, les uns et les autres, et que l’éminente supériorité de Fra Angelico sur ses frères en poésie, les Sano di Pietro et les Borgognone, vient surtout de ce que, avec son éducation florentine, il a su rester peintre tout en étant poète, appuyer sur terre les visions qu’il créait, et joindre à son génie poétique tout le savoir et toute l’adresse d’un parfait ouvrier. Un poète aussi, tout au moins d’intention, ce Fra Bartolommeo qui, cinquante ans après l’Angelico, a essayé de réaliser, dans la peinture, l’idéal chrétien de Savonarole. Sa fresque du Jugement dernier, son petit diptyque des Offices, ses Deux Saintes de Lucques, chacune de ces œuvres est un effort nouveau pour transfigurer la réalité habituelle, en la pénétrant de cette « lumière » divine qui est proprement l’essence de toute beauté poétique : et si, hélas ! le résultat obtenu ne répond pas toujours à ce noble effort, si l’éducation réaliste et scientifique de Fra Bartolommeo pèse trop lourdement sur lui pour lui permettre de voler aussi haut