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ce crible impitoyable. Gens d’église, gens du monde, gens de théâtre, chacun aura son tour. Ne nous dit-on pas que M. Dreyfus-Brisac a découvert dans un certain Plaute des scènes entières de Molière, et qu’il est à la veille de soutenir, avec preuves à l’appui, que La Fontaine avait lu Ésope ?…

Certes il ne saurait être question de promener le lecteur à travers ce fouillis de citations, où on en glane à peine quelques-unes d’intéressantes. Il faut pourtant en donner deux ou trois échantillons, pris entre cent autres, pour montrer jusqu’où peut aller la puérilité des rapprochemens ou la fureur du remplissage. Si Ronsard a écrit :

Car tout ce que nature et le ciel plus bénin
Donne pour ornement au sexe féminin,
Celle dame l’avait ;

comment voir, dans cette phrase prosaïque et pénible, l’original du vers de Malherbe :

Je sais de quels appas son enfance était pleine ?

Si Ronsard se plaint que

La faveur qui les fautes efface
Fait que le sol pour habile homme passe,

quelle analogie offre cette remarque avec l’adage de Boileau dont le sens est tout différent :

Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire ?

Voici une série de rapprochemens entre des vers de la Phèdre de Racine et des vers de Desportes :

DESP. — Je disais toute nuit, furieux de pensée.
PHE. — Sors traître, n’attends pas qu’un père furieux. :
DESP. — Horrible de fumée et de bruit effroyable.
PHE. — Un effroyable cri sorti du fond des flots.
DESP. — La mort et ma douleur sont sans comparaison.
PHE. — La mort est le seul dieu que j’osais implorer.
DESP. — J’ai fait trembler de peur la France épouvantée.
PHE. — Et m’arrachant des bras d’Œnone épouvantée.

On aura remarqué que ces vers, qui n’ont entre eux aucun rapport ni de pensée ni d’expression, sont accolés deux à deux uniquement