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besogne n’est pas fait, car il reste à dénoncer le caractère de l’homme, qui était ce qu’il y avait chez lui de plus piètre et sur quoi il est prodigieux qu’on ait pu si longtemps et si complètement s’abuser. Sa franchise tant vantée n’était que duplicité, son indépendance n’était que servilité, sa brusquerie un prétexte à se ranger du côté du plus fort :


Pour attaquer Molière il attend qu’il soit mort.


Apparemment l’auteur fait ici allusion aux vers fameux :


Avant qu’un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière…


Et ces vers avaient passé jusqu’à présent pour être une protestation généreuse, et un acte de courage ; mais il n’est que de s’entendre… A l’appui de ces belles choses vient le volume, composé de citations où les vers de Boileau sont rapprochés de passages de Ronsard, d’Arioste, de Cervantes, de Saint-Amant, de Balzac, de Scudéry, de Brébeuf, de Chapelain, etc.

Incontinent suivit la Clef des Maximes de La Rochefoucauld : M. Dreyfus-Brisac tenait une veine, il ne la lâchait pas. Il est bien vrai qu’il y a, au sujet des Maximes de La Rochefoucauld, un problème. Ce n’est pas un très grand problème et de ceux à la solution desquels nous nous acharnions avec passion. Car ceux qui tiennent La Rochefoucauld pour un « penseur d’une originalité foncière » ne sont pas légion, et M. Dreyfus-Brisac ne court pas beaucoup de risques à les pourfendre. Mais ce grand seigneur qui avait été mêlé à tant d’intrigues, qui avait fait, à ses dépens, connaissance si intime avec le cœur de la femme et avec l’esprit de la Cour, a-t-il, dans ses aphorismes, dépassé son expérience personnelle ? S’est-il borné à mettre en maximes la substance de ses Mémoires, ou son recueil a-t-il une portée générale et contient-il une philosophie ? Y a-t-il, comme on se plaît à le répéter, un système de La Rochefoucauld, ou l’ami de Mme de Sablé a-t-il été moins dupe que nous ne le sommes de la valeur et de la portée d’un divertissement de société où il excellait ? Et encore, comment se fait-il que ce petit livre où il y a tant de réflexions banales et de purs paradoxes, ait eu en son temps, un succès si vif, et qu’il continue à tenir dans l’estime des lettrés une place un peu disproportionnée avec sa substance ? À ces questions M. Dreyfus-Brisac ne répond rien ; mais il relève dans Sénèque, Aristote, Montaigne, Charron, Baïf, Bussy-Rabutin, Esprit, Le Pays, etc., des