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COMBAT DE CERFS


Voici longtemps que les deux cerfs, au crépuscule,
Luttent pour conquérir la biche dont l’odeur
Troubla leur solitude et leur instinct rôdeur.
Ils se chargent. Le sol tremble. Nul ne recule.

Éperdu, chaque fauve en bondissant calcule
Un coup mortel. Le jour s’éteint dans la splendeur ;
Et sur les deux rivaux, dont s’irrite l’ardeur,
Plane une ombre qui semble encor l’ombre d’Hercule.

Duel sinistre ! les bois se heurtent, dont les nœuds
Sonnent ; les yeux sanglants se regardent haineux ;
L’écume souille l’herbe et le poil se hérisse.

Mais la Forêt plaintive où viennent s’assoupir
Les bêtes, comme au sein d’une antique Nourrice,
Caresse ses enfants d’un maternel soupir.


SÉPULCRE AGRESTE


Dans l’enclos délaissé que gagne l’épaisseur
De l’ombre avec l’étreinte obscure de la plante
L’avenue est déserte et la maison croulante,
Où le feuillage filtre un murmure obsesseur.

Car, du houblon tenace au lierre envahisseur,
La vie a prodigué, dans une marche lente,
La graine qu’elle sème et le rameau qu’elle ente,
Et le triste Abandon lui-même a sa douceur.

O végétation rampante et parasite,
Qui d’un fantôme attends, chaque soir, la visite,
Où quelque rêve ancien dort son sommeil sacré !

Dans le mystère épars de tes métamorphoses,
Quand la brise plaintive a mollement pleuré,
J’écoute frémir l’âme incomprise des choses.