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de la grande période française à laquelle ils se rattachent ? Ailleurs, ils sont isolés ; ici, on les voit groupés en un grandiose ensemble qui, jusqu’en ses moindres détails, paraît comme imprégné des événemens et des hommes qui furent sa vie.

Quel intérêt offrirait Pompéi si, au lieu d’en avoir dépouillé les intérieurs, en transportant au musée de Naples et ailleurs tout ce qui les ornait, on eût laissé à leur place ces étonnans vestiges qui nous eussent rendu intact le cadre de l’existence romaine et Jusqu’à cette existence même ! N’avons-nous pas en Versailles une sorte de Pompéi de notre histoire ? Si la lave du Vésuve ne l’a pas recouvert, les flammes, puis les cendres du volcan révolutionnaire l’ont, lui aussi, pour les siècles à venir, transformé en une cité d’autrefois qui, par son aspect, par son caractère, par tout ce qui en a disparu, semble aussi éloignée de l’époque présente que le monde issu de la Révolution l’est de la société de l’ancien régime. Pour tout homme de goût, quel respect méritent ces survivantes annales de pierre, de marbre et de bronze, sur lesquelles il est déplorable de voir trop souvent s’étendre, comme une lèpre meurtrière, un délabrement indigne d’une nation dont on disait jadis, non sans jactance, « qu’elle est assez riche pour payer sa gloire, » mais qui, fort heureusement, n’est devenue ni assez oublieuse, ni assez pauvre pour ne plus avoir à cœur de sauvegarder l’un des joyaux les plus beaux, les plus achevés, que lui ait légués son passé, il y a là de si attachans souvenirs des temps que nous expliquent, que nous retracent ce château, ces monumens, ces jardins, ces statues, ces œuvres d’art, auxquels reste à jamais attaché, comme un reflet de grandeur, de suprême élégance, de dramatique émotion, qui ferait volontiers dire : « Ici l’on pense ! » Puisse donc l’avenir, en complétant à Versailles un incomparable musée consacré à l’histoire et à l’art français, ne pas lui ravir une physionomie que le temps n’a pas réussi à effacer, et qu’il faut, où elle subsiste, lui conserver avec respect, — où elle a disparu, tâcher de lui restituer avec intelligence !


ALPHONSE BERTRAND.