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certaines intelligences faussées, mais dont les échos, tôt ou tard, eussent vibré dans tous les cœurs ! On aurait pu, démasquant brutalement le mensonge du pacifisme, lever l’épais rideau qui cachait aux congressistes la réalité contemporaine ; on aurait pu leur montrer l’impérialisme allemand promenant ses visées du Sund à l’Adriatique et du Maroc à Bagdad ; l’impérialisme anglais tout prêt à ensanglanter les mers, s’il doit à ce prix en demeurer le maître ; l’impérialisme américain, barricadé contre Les ingérences du vieux monde par la vigilante doctrine de Monroe, et s’immisçant en revanche, avec une calme hardiesse, dans le discordant concert des puissances européennes ; et l’impérialisme japonais, enfin, fermement décidé à ne mettre un terme à ses convoitises qu’autant qu’un terme sera mis à ses victoires. Est-ce le moment pour les instituteurs de former des petits Français qui ne sauront plus être ambitieux pour la France ? Est-ce le moment de prêcher au pays le mépris de la gloire, au risque de faire déchoir l’âme française ?


M. Milliard, ancien garde des Sceaux de la République, entretenait récemment le conseil général de l’Eure de la crise du patriotisme, « préparée consciemment par les uns, inconsciemment par les autres. »


Les inconsciens, continuait-il, ce sont les pacifistes à outrance, qui nous conseillent de désarmer, au risque de nous faire manger, qui trouvent que, même à ce prix, ce serait un beau trait d’humanité. Les consciens sont ceux qui nient la patrie : l’humanité n’a rien à voir dans leurs négations ; car, en même temps qu’ils prêchent la désertion et la grève, des réservistes en cas de guerre étrangère, ils prêchent la guerre civile.


Reprenant cette distinct ion, il nous semble qu’on peut résumer le moment présent de la crise en disant qu’aujourd’hui l’accord de tous les partis a fait justice des « consciens. » Les quatorze mille instituteurs qui suivaient M. Hervé doivent comprendre la leçon. Mais si l’on veut que l’école reprenne le rôle national que ses fondateurs républicains lui avaient imposé, c’est vers les « inconsciens, » désormais, que doit se tourner la vigilance de l’État républicain, gardien du salut commun.


GEORGES GOYAU.