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s’offensera point si nous disons que la France les écoutait : on désirait constater que certaines alarmes les avaient assagis. Le bruit que fit leur meeting fut confus ; l’impression qu’il laissa demeure troublante.

Qu’ils aient affecté d’installer au bureau du congrès certains de leurs camarades contre lesquels l’autorité universitaire avait eu à sévir, et qu’ainsi, dans ce bureau même, le parti de M. Hervé ait été représenté : c’est un indice qu’il convient de retenir, sans d’ailleurs en exagérer l’importance. Vis-à-vis de l’Etat patron, les Amicales prennent volontiers l’allure de syndicats rouges ; le « travailleur » instituteur, mal vu, pour un motif ou pour un autre, du patronat qui siège rue de Grenelle, est désigné, par là même, à la sympathie vengeresse du syndicat que l’on nomme Amicale. La façon dont le congrès de Lille a composé son bureau attestait plutôt le désir d’ennuyer le ministre que le désir de consoler M. Hervé ; et tout au plus peut-on dire que si l’ « Hervéisme » avait provoqué le soubresaut de révolte qu’il était permis d’espérer, les congressistes se seraient abstenus de donner un témoignage de confiance à des amis notoires de cette doctrine. Mais c’est contre M. Bocquillon qu’ils dépensèrent leurs turbulences d’indignation ; à deux reprises, le congrès tout entier se déchaîna contre sa bravoure ; la lettre de M. Goblet, dont il donna lecture, n’obtint même pas l’hommage d’une attention silencieuse ; on cria que M. Bocquillon était nationaliste, et qu’il avait trompé M. Goblet. Après avoir reproché au parti nationaliste de confisquer l’idée de patrie et de revendiquer comme un monopole le soin de la représenter et de la défendre, on ferait acte de logique et d’adresse en ne taxant point de nationalisme, a priori, quiconque élève la voix en faveur du patriotisme. Mais ces nuances échappaient aux congressistes de Lille.

C’est pour braver M. Bienvenu-Martin qu’on asseyait à des places d’honneur certains amis de M. Hervé, et c’est en croyant faire acte de républicanisme qu’on manifestait contre M. Bocquillon : ni l’un ni l’autre de ces épisodes ne suffiraient pour dévoiler avec clarté l’attitude actuelle des Amicales à l’égard de l’idée de patrie. Los discussions auxquelles a donné lieu l’enseignement de l’histoire sont plus révélatrices : ici, il n’y a plus à tenir compte de susceptibilités froissées, ou de préventions personnelles ; et l’on y voit l’opinion de nos instituteurs, toute nue, face à face avec certaines idées, toutes nettes.