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et qui se prolongent après elle ! Ce que l’école enseignera, ce sera peut-être l’amour de tous les hommes, mais ce que l’écolier retiendra, ce sera l’égoïsme. La guerre coûte, et la guerre ne me sert à rien, à moi citoyen : que la patrie, donc, me laisse tranquille ! Car nous lisons encore, sous la plume de M. Payot : « Me voici, par exemple, marchand de fromages. En quoi une guerre victorieuse fera-t-elle de moi un chimiste expert aux choses de la fermentation lactée ? En quoi donnera-t-elle à mes employés l’habitude d’une propreté méticuleuse ? En quoi me rendra-t-elle débrouillard pour chercher des débouchés ? »

Je ne sais si, pour gagner au pacifisme ouvriers et fromagers, il suffira de les convaincre que la guerre est superflue pour leur commerce ou qu’elle pèse sur leurs salaires ; mais en tout cas, sur le terrain précis où les amène M. Payot, c’est en considération de leur intérêt propre, commercial ou pécuniaire, qu’ils déclareront la guerre à la guerre et la paix au monde. Et lorsqu’ils auront appris à maudire « les grands agités, les hommes de parade, de tapage vain, » que le militarisme exalte ; lorsque le fromager, pour compter ses recettes, aimera la plate quiétude d’un peuple qui n’a pas d’histoire, connaîtrons-nous encore, dans cette France pacifiste, ces susceptibilités de l’honneur national, qui seules font respecter les États ? Trouveront-elles encore un écho dans une France indifférente aux ambitions et aux convoitises des grandes puissances et soucieuse exclusivement, à l’abri des limites imposées à Francfort, de garder et de répandre certaines notions juridiques et politiques avec lesquelles serait à jamais confondu l’idéal patriotique de 1 âge nouveau ?


III

A l’école de M. Payot, nos égoïsmes individuels s’insurgent contre la guerre ; M. Gustave Hervé, qui fut jusqu’à ces derniers mois directeur de la Revue de l’Enseignement primaire, les fait s’insurger contre le service militaire et contre la pairie même. La patrie est une mégère, une marâtre : elle donne tout aux riches, refuse tout aux pauvres ; elle est une organisatrice d’iniquité ; et puis elle demande à cette masse d’enfans, qu’elle maltraite et disgracie, de se dévouer et de mourir pour elle : auront-ils la naïveté d’accepter ? La patrie est une exploitation