Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a quinze ans, écrit-il, l’école primaire était plus que patriote, elle était chauvine. Les instituteurs avaient alors pour mission essentielle de préparer, par des leçons viriles, les prochaines recrues de la caserne. C’était vraiment l’âme de la France qui était dans l’école. Personne n’avait alors l’idée, parmi nous, de se moquer même des Chants du soldat


On reconnaît, sous ces traits, l’enseignement primaire de jadis, tel qu’ici même nous l’avons présenté. Il paraît que le tableau est de nature à faire sourire les instituteurs d’aujourd’hui ; car M. Devinat « supplie » ses jeunes collègues « de ne pas médire légèrement de ce temps-là. »

Puis, opposant à l’image du passé celle du présent, il ajoute :


Non seulement l’école laïque d’aujourd’hui n’est plus l’école du patriotisme intransigeant et chauvin qu’elle était il y a quinze ans, mais on peut dire que ce n’est plus l’éducation proprement patriotique qu’elle met au premier rang de ses préoccupations. Elle tend à devenir par-dessus tout, si je ne m’abuse, quoique un peu vaguement encore, l’école du progrès démocratique, de la solidarité sociale, de la fraternité républicaine.


S’interrogeant sur les causes de ce changement, M. Devinat en voit de deux sortes ; les unes historiques, les autres intellectuelles. La sécurité rendue par l’alliance russe ; la renonciation progressive à « l’espoir de recouvrer l’Alsace-Lorraine par la force des armes ; » les événemens récens, enfin, qui, paraît-il, appelèrent les instituteurs à « faire porter leurs critiques » sur l’armée : voilà les raisons de fait qui commenceraient d’expliquer l’évolution de l’école primaire. Mais cette évolution fut surtout la conséquence du mouvement des esprits, sollicités, d’un côté, par le pacifisme et par une confiance un peu hâtive dans l’immédiate efficacité des idées d’arbitrage, d’un autre côté par le socialisme et par les préoccupations de la lutte de classes, qui semble plus urgente et plus féconde que les antagonismes nationaux.

C’est de la pénétration dans l’école primaire d’un courant pacifiste et d’un courant socialiste révolutionnaire qu’est résultée la crise du patriotisme. « Sous le couvert de noms qui leur sont chers, écrivait récemment M. Georges Leygues, on a fait pénétrer, et accrédité parmi beaucoup de nos instituteurs, les doctrines les plus pernicieuses ; » et l’ancien ministre, tout en voulant demeurer convaincu que « la presque-unanimité sont de très fermes patriotes, » constatait qu’ « on empoisonnait la