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IV

Après avoir lu le roman des slums, N° 5 John Street, et le roman plus triste encore des campagnes, The Yellow van, et le livre si documenté sur la Servitude pénale et ce chef-d’œuvre hallucinant la Ballade de Reading, on se remémore le mot de Taine à propos de la société anglaise : « Toujours par-delà la tête humaine et le buste florissant, j’arrive à toucher la croupe bestiale et fangeuse. » Évidemment, à en croire les tableaux qui viennent de passer sous nos yeux, le bas peuple des faubourgs est certainement plus grossier, plus misérable, et la classe des cultivateurs non fermiers plus malheureuse, plus abrutie que ne le sont les mêmes catégories d’individus en France. La sauvagerie chez les mauvais s’accuse plus redoutable qu’on ne pourrait l’imaginer dans les pays où l’animal humain a moins de sang et moins de muscles. Cette race britannique puissante par l’énergie, l’orgueil, l’esprit de domination, qui produit de si admirables échantillons de pionniers, de colons, de travailleurs de toute sorte, a besoin d’être tenue en bride comme elle l’est au sommet de l’échelle par l’esprit religieux, l’habitude invétérée du respect, le sentiment strict du devoir, le culte général des convenances. Mais il arrive que l’excès de misère ne laisse subsister de ses qualités que l’inertie d’une machine, et l’abaissement une fois commencé devient vite complet sous l’influence de l’ivrognerie surtout qui crée la démence ou l’imbécillité. Laideur et beauté physiques, force et dégradation morales, tout est plus saisissant en Angleterre que chez nous.

Cependant des progrès extraordinaires s’accomplissent d’année en année dans ce pays de la lutte incessante, athlétique du bien contre le mal, lutte à laquelle chacun prête la main ; les slums s’assainissent, le nombre des criminels a diminué d’un tiers, la réforme des pénitenciers donne évidemment de bons résultats, puisque la décroissance de la criminalité, si marquée en Angleterre et dans le pays de Galles, ne se manifeste pas de même en Écosse et en Irlande où les mêmes changemens ne sont pas encore appliqués. C’est le problème rural qui paraît jusqu’ici le plus insoluble. La condition des paysans sous le règne de la grande propriété n’a fait depuis longtemps que s’aggraver.