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triomphe et de mâts vénitiens portant des inscriptions de bienvenue. Une procession s’est formée : en avant, la gendarmerie suivie de la musique ; puis les tenanciers du duc, gros fermiers à cheval dont les fermes sont d’élégantes habitations : on y mène presque la vie de château ; les petits fermiers, à pied, les journaliers derrière eux, au nombre d’une cinquantaine, aucun ne possédant un pouce de terre. Puis viennent en voiture les chefs des districts où s’étendent les possessions du duc d’Allonby, cadets de famille pour la plupart, ayant le goût des sports. Certain agent paraît investi d’une importance particulière ; c’est son affaire de recevoir les pétitions, de compulser des rapports à l’office central. Vient ensuite l’état-major du grand village industriel qui existe au-dessous du château, la tradition voulant que le domaine se suffise à lui-même et ne demande rien au monde extérieur ; là sont les forges, les ateliers de toute sorte : contremaîtres, surveillans, inspecteurs ; encore de la musique, puis une députation du Nord où le duc possède une station balnéaire au bord de la mer ; représentans du conseil municipal, délégués du port ; puis des mineurs en costume de travail tout neuf, la lampe à la main ; jusque-là, dans le cortège, l’absence de costumes locaux se faisait sentir. Un potentat, le steward, l’intendant d’Allonby, véritable ministre de l’Intérieur, avec une armée de serviteurs à ses ordres. Enfin, le contingent de Londres comprenant des employés de toute sorte, commandés par un membre du conseil, qui administre les immeubles situés en ville et se réunit à certaines dates sous la présidence du duc.

Mais voici le grand homme, celui qui centralise en sa personne la direction générale de toute la terre, le seul qui ait, de droit, des relations personnelles avec Sa Seigneurie. Il arrive orgueilleux, traîné par une paire d’excellens chevaux, et sa mine altière annonce assez le tyran de tous les tenanciers ; sans lui on ne peut rien faire, il faut se le tenir pour dit.

Les équipages de la noblesse et de la haute bourgeoisie des environs se sont joints au cortège qui va prendre le duc et la duchesse à la station du chemin de fer. Cloches, acclamations, musique. Les enfans de l’école chantent en cœur. Le duc salue aimablement à droite et à gauche ; près de lui la jeune républicaine qu’il a du jour au lendemain transportée dans de si hautes sphères a, quels que puissent être ses étonnemens, l’air impassible et souriant d’une déesse de Versailles. Elle goûte bien le