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terre dont ils avaient besoin. Que vous reste-t-il maintenant du terrain communal si vaste jadis ? En un siècle, il s’est réduit de huit millions d’acres au moins, autant de gagné sur les pauvres. Le propriétaire vous tient serré corps et âme, le prêtre de la paroisse est nommé par lui, les fermiers, les commerçans du village sont en sa main ; les journaliers, habitant ses cottages, ne peuvent nourrir un porc et quelques poules, ou louer un arpent de terre qu’avec sa permission. Et j’ai dit louer ; acheter, jamais ! Le lord est d’ordinaire le magistrat, de sorte qu’il administre la loi qui pourrait vous donner raison contre lui. »

Tout cela est la vérité pure, mais ceux qui en conviendraient auraient aussitôt de si mauvais points qu’il ne leur resterait plus qu’à quitter le village. Aucune voix ne s’élève donc pour approuver ni pour discuter. Une espèce d’usurier, locataire d’un des manoirs qui dépendent du château, menace insolemment le conférencier ambulant de le faire arrêter, et la chasse seigneuriale qui passe se met à rire à la vue de la roulotte jaune, tandis que l’auditoire salue comme un seul homme.

Ceci se passe cependant sur les terres du duc d’Allonby, un duc modèle, au cœur généreux, aux idées libérales qui, comme beaucoup de ducs de nos jours, a épousé une Américaine, mais non pas, à l’exemple des autres, une milliardaire de New-York, tout simplement une jeune maîtresse d’école admirablement belle, rencontrée dans ses voyages sur la côte du Pacifique. Sa femme lui est intellectuellement supérieure, mais il a un noble caractère et a prouvé par son seul mariage le plus complet dédain des préjugés. Son désir sincère serait de contribuer au bonheur et au développement de cette partie de l’humanité dont il est maître.

En arrivant en Angleterre, la nouvelle duchesse est un instant émerveillée par l’ordre hiérarchique incomparable qui semble contribuer à une prospérité commune. Toutes les nombreuses propriétés de son mari se disputent l’honneur de la recevoir. Allonby, la demeure ancestrale, sera sa résidence habituelle ; mais, au nord et à l’ouest, d’autres terres rendent un revenu plus important. Le duc possède en outre une partie notable de Londres. Sa fortune embrasse des mines, des cités florissantes, des ports, d’immenses pâturages, d’immenses cultures avec une densité de population qui lui appartient comme tout le reste.

Le village est, pour l’entrée des nobles époux, décoré d’arcs de