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exclusivement anglaise. Alors, même dans cet enfer, les influences religieuses se font sentir. Voyez cet homme âgé, tout de noir vêtu, d’apparence respectable : c’est un missionnaire qui fut jadis boutiquier dans le monde et qui maintenant occupe ses loisirs à ramener les âmes égarées. Il y met la politesse dont il usait jadis envers ses cliens. Sous prétexte d’apporter un petit cadeau, il se glisse dans la chambre de Covey, par exemple, et déroule une lithographie coloriée représentant la reine Victoria qui offre une Bible à un sauvage désireux de connaître les causes de la grandeur de l’Angleterre. Le missionnaire est patriote et croit fermement que le drapeau britannique sera planté d’un bout du monde à l’autre à seule fin de répandre les Saintes Écritures enveloppées dans ses plis. Tout l’univers doit comprendre plus ou moins l’anglais, et l’anglais est certainement la langue que parleront les justes dans un monde meilleur. Le Créateur doit être au fond un Anglais, car il possède au suprême degré les vertus britanniques.

Tel est, sans qu’il exprime aussi nettement ses certitudes, le sens intime des convictions que le missionnaire s’efforce de communiquer aux habitans de John Street. Le portrait de la Reine évangélisant les sauvages est suspendu au mur qu’orne déjà celui de lord Beaconsfield, offert par les grandes dames de la Primerose league, lesquelles, à date fixe, viennent en voiture tourner du bon côté les sentimens politiques de ce quartier. D’autres élégantes répandent l’image suggestive de la Madone de Botticelli avec l’intention aussi louable que chimérique d’éveiller le culte du beau chez les ignorans. Toutes ces chambres sordides sont décorées de chromos et de photographies offertes par des sociétés de vertueuse propagande, sans préjudice de l’imagerie sensationnelle ou comique des journaux populaires, les plus grossiers qu’il y ait au monde, quoique le vice proprement dit en soit exclu ; la bêtise y supplée. Mais, pour revenir à la religion, les habitans mâles de John Street sont spécialement invités au service religieux d’une paroisse voisine dont le curé, un athlète du nouveau mouvement d’Oxford, les attire par la création d’un club où ils trouveront toutes les délices imaginables (sauf la bière), entre autres l’occasion d’un amical pugilat avec le jeune clergyman. Après avoir boxé contre eux le samedi soir, il leur apparaît dans sa majesté sacerdotale, à l’autel, le dimanche matin.