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particulièrement nos gardes du corps plus attachés au Roi que raisonnables dans leur attachement. J’en parlai donc, il y a quelques jours, dans la salle des gardes, à ceux qui étaient de service ; le salon était plus raisonnable ou du moins plus politique. L’étonnement fut général. L’un d’eux me dit :

« — Mais, au moins, il ne paraîtra pas au château ?

« — Pardonnez-moi, répliquai-je, car puisqu’il va à Saint-Pétersbourg, c’est pour le service du Roi.

« Je chargeai ensuite quelques-uns des plus sages de rendre plus sages les autres, et j’eus lieu d’être certain, au moyen de ces précautions, que si Dumouriez ne reçoit pas de tous des caresses, du moins, ne recevra-t-il de personne des affronts. »

Cette difficulté aplanie, il en restait d’autres à résoudre, et si graves, que le Roi voulut en saisir son conseil. Recevrait-il Dumouriez officiellement ? L’inviterait-il à dîner ? Le présenterait-il à la Reine et à la duchesse d’Angoulême ? Enfin, le chargerait-il d’apporter à Paul Ier des projets de contre-révolution qu’il ne voulait tenter d’exécuter qu’autant qu’il serait assuré du consentement et de l’appui de la Cour impériale ? Toutes ces questions discutées entre le Roi, Saint-Priest, d’Avaray et les autres membres du Conseil furent résolues négativement.

Charger Dumouriez d’apporter au Tsar des pièces importantes, c’était, si on ne lui en faisait pas connaître la teneur, le blesser dans son amour-propre, ce qu’il fallait éviter, et si on les lui communiquait, l’autoriser à les discuter, ce qui n’eût pas été moins fâcheux, « car, disait d’Avaray, ce nouveau converti a la tête trop près du bonnet rouge pour le faire entrer dans les conseils du Roi. » Le recevoir officiellement et lui faire fête avant de savoir quel accueil lui réservait l’Empereur, c’était s’exposer, si cet accueil n’était pas ce qu’on espérait, aux inconvéniens d’une fausse démarche. Enfin, le faire dîner avec la Duchesse d’Angoulême, c’était affliger cette princesse qui voyait toujours en lui un ennemi de ses parens. En apprenant qu’il allait arriver à Mitau et qu’elle devrait peut-être tolérer qu’on le lui présentât, elle avait fondu en larmes. Pour toutes ces raisons, mieux valait attendre pour le recevoir officiellement qu’il revînt de Saint-Pétersbourg. Alors, s’il y avait été bien accueilli, il serait plus aisé de se détendre avec lui et de faire comprendre à la Duchesse d’Angoulême qu’elle devait se relâcher de sa rigueur envers un homme en qui le Tsar avait reconnu un bon serviteur de la cause royale.