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mourir l’un et l’autre à peu d’années de là. Louis-Philippe, au contraire, avait grandi robuste. L’éducation virile à l’excès qu’il devait à Mme de Genlis, la vie des camps, les voyages, les duretés de l’exil avaient développé ses forces naturelles ; la vigueur de son corps n’avait d’égale que celle de son intelligence ; tout en sa personne trahissait un esprit pondéré, toujours maître de soi, pour qui ne seraient jamais perdues les leçons auxquelles il devait une expérience précoce.

Lorsque, las de leur existence nomade en Amérique, pressés de se rapprocher de leur mère et de leur sœur, les trois frères avaient décidé de revenir en Europe, ils n’éprouvaient au sujet de leur conduite future qu’indécision et incertitude. Singulièrement obscur s’offrait à eux l’avenir. Leur situation, celle de l’aîné surtout, rendue si difficile par la conduite criminelle de leur père à l’égard de Louis XVI et de Marie-Antoinette, et ensuite par l’échec de la tentative de rapprochement entre eux et la branche aînée de leur maison, dont Louis XVIII avait pris en 1796 l’initiative[1], l’était devenue plus encore par suite des intrigues du parti politique désigné sous le nom de faction d’Orléans, qui s’était formé en France et se réclamait d’eux, encore qu’ils n’eussent pas prêté les mains à ses entreprises. Tenus en suspicion par les princes leurs cousins, décriés par les royalistes, objet de la haine des émigrés et de la défiance des républicains, il semblait bien qu’ils ne dussent de longtemps trouver grâce ni vis-à-vis des uns, ni vis-à-vis des autres, et qu’ils fussent condamnés à un isolement absolu. Ils s’y étaient par avance résignés, les deux plus jeunes sans effort, leur santé les vouant à une existence retirée ; l’aîné, par raison, sa résolution étant prise de ne se prêter, pour se rapprocher du Roi, à aucun sacrifice d’opinions et pas davantage aux manœuvres du parti qui s’était emparé de son nom pour s’en faire un drapeau et voulait, en lui donnant la couronne, assurer à la France, sous son sceptre, un gouvernement représentatif semblable à celui qui existait en Angleterre.

Tel était donc l’état d’âme du Duc d’Orléans au moment où il arrivait à Londres avec ses frères, en s’entourant d’assez de précautions pour que leur présence n’y fût connue que lorsqu’il jugerait opportun de faire cesser leur incognito. Mais,

  1. Voyez mon Histoire de l’Émigration, t. I, p. 365 et suiv.