Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bras : plutôt en pincettes. Nul ne se chagrine et ne se tourmente, sauf à propos d’une révérence perdue, et qui se retrouve vite. Tout est pimpant et fringant. A travers la mélodieuse partition, sept voix de femmes courent et rient : une soubrette, quatre petites pensionnaires roses et bleues et deux amoureux travestis. Avec autant d’esprit qu’Auber, Delibes a fait ici chanter les chaises, même une chaise à porteurs, et le départ, en grand gala, d’un marquis ridicule se rendant à la Cour, est un tableau délicieux. « Ah ! qu’il est doux d’avoir un frère pas trop sévère. » Le plus aimable finale s’enroule et se déroule autour de ce refrain. Le jour où Léo Delibes est mort, c’est un « frère » comme celui-là qui nous fut enlevé.

Il nous en reste un, qui lui ressemble un peu : l’auteur de la Basoche et de Madame Chrysanthème, M. André Messager. La Basoche, avec des parties d’opérette, en a d’autres, comme le premier acte, qui sont de l’opéra-comique le plus délicat, d’un art purement français et comparable seulement à celui du Boïeldieu de Jean de Paris. Le fond et la forme, les idées et le style ; la mélodie, l’harmonie et l’orchestre ; la vérité moyenne et la parfaite mesure, le sens juste et fin de la vie, tout cela n’est qu’à nous. Tout cela ne vint jamais que de nous, et malgré nos longs oublis ou nos sots mépris de nous-mêmes, tout cela finit toujours par nous revenir. Fêtons ces retours heureux. Si M. Messager, pour avoir été peut-être trop indulgent à lui-même, nous doit encore une comédie musicale achevée, sachons-lui gré de nous en avoir donné, dans la Basoche et plus encore dans Madame Chrysanthème, des esquisses charmantes : les unes selon l’esprit ancien, les autres, où pour la première fois la poésie et la réalité se rencontrent mais ne se heurtent point. Le Delibes de Lakmé lui-même n’en avait pas complètement évité le froissement ou le choc léger. On ne le sent pas dans Madame Chrysanthème. Ici toute dissonance est sauvée ou résolue. Le prologue offre un exemple frappant de cette heureuse harmonie. Le navire sur lequel se lève le rideau n’a rien de commun avec le vaisseau d’Haydée. Il a pour chef, au lieu d’un amiral d’opéra-comique, un officier de notre marine, aujourd’hui vivant, que dis-je ! immortel, et qui garde, même en musique, son nom ou plutôt son pseudonyme illustre et familier. Auprès de lui, sur la passerelle, Yves, son frère, est debout. Nous les reconnaissons l’un et l’autre ; ils n’ont rien