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Auber ne fut pas des leurs. Il eut tout l’esprit qu’il faut pour se moquer des choses communes, pour les rendre même, par malice et par ironie, plus communes encore ; mais pour en découvrir la grâce cachée, pour la goûter et pour s’en émouvoir, il lui manqua l’amour.

Un jour, feuilletant à l’aventure le répertoire que nous étudions ici, deux pages, deux chansons nous tombèrent sous les yeux tour à tour : celle de dame Marguerite, dans la Dame Blanche, et celle de dame Jacinthe, dans le Domino noir. Tout, de l’une et de l’autre, diffère : les personnages, le lieu de la scène, la situation, la pensée, ou le sentiment, ou l’idéal, et les formes sonores qui le traduisent. Quelle musique, et quelle musique ! Là-bas, je ne sais quoi de lié, de suave et de caressant ; dans la mélodie et dans l’orchestre, une tendresse, une bonté qui fond le cœur. Ici la précision, la verve et l’élégance, mais la sécheresse aussi ; une voix roche et revêche, détachant une à une des notes piquées et piquantes. A la place d’un château de légende et de rêve, un appartement de garçon ; la jeune gouvernante au lieu de la vieille domestique, le bruit des clefs après la plainte des fuseaux. Et si peu qu’on les regarde et qu’on les écoute, ces deux figures de femme rendent témoignage. Elles nous apprennent ou nous rappellent que dans l’histoire de l’art l’évolution ne se fait pas toujours en avant et que si l’opéra-comique, avec Auber, a conservé tout son esprit et toute sa finesse, il a presque tout perdu de sa sensibilité et de sa poésie.


V

Il tardera quelque vingt ans à les recouvrer, et ce n’est pas de son propre fonds que nous les verrons toutes deux lui revenir.

D’un bout à l’autre d’une carrière qui dura plus de cinquante années, — Le séjour militaire est de 1813 et Rêve d’amour date de 1869, — on ne peut pas dire qu’Auber se soit vraiment renouvelé. Je conçois qu’un plaisant ait proposé d’appeler un quelconque de ses ouvrages : Fra Domino, ou les Diamans de la Sirène, d’un nom qui les eût tous enveloppés. Et les contemporains du maître, ou ses disciples, ou ses imitateurs, — ne disons pas ses successeurs, puisqu’il devait leur survivre, — les Adam, ou les Grisar, ne manquèrent pas de mérite. Mais ils n’écrivirent guère, en