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l’ouverture, un chant s’élève, un chant de clarinette, et si tendre, si triste, que Weber seul a su donner plus de poétique et pathétique éloquence à la voix de l’instrument qu’entre tous il aimait. Un soupir de la reine : Je suis prisonnière, Loin du beau pays ; les deux premières mesures de l’air d’Isabelle : Jours de mon enfance, avec leurs harmonies pensives, ont un charme indicible de rêve, de langueur et de regret. Pour l’émoi, presque l’angoisse qu’elle respire, la plainte de Nicette, effarouchée par les beaux messieurs de la Cour, est comparable, — je ne dis point égale, — à celle de Leporello reconnu sous le manteau de son maître. Enfin le troisième acte entier, l’acte du duel, ne consiste que dans l’approche et dans le passage de la mort. La musique emploie d’abord toutes ses forces à nous la faire pressentir. Toutes ses forces, ou mieux toute sa faiblesse, car elle commence par se réduire et se replier sur elle-même. Elle éparpille dans la nuit de grêles et craintives ritournelles, un petit quatuor tremblant, les tristes sonneries de l’heure, et l’échange à voix basse, entre les archers qui veillent, de propos soldatesques et de consignes sinistres.


Quand l’étranger sera par ferre,
Prenez une barque aussitôt
Pour l’emporter sur la rivière.


Sur la rivière en effet, qu’une tragique modulation vient éclairer d’une pâle lueur, voici la barque funéraire. La musique, après avoir annoncé la mort, maintenant l’accompagne. Sur l’aimable théâtre qu’elle avait épargné jusqu’alors, elle paraît pour la première fois, la sombre visiteuse, escortée par une des plus graves, une des plus sombres mélodies qui jamais lui firent cortège. Sans pareille dans les annales du genre que nous étudions, la dernière scène du Pré aux Clercs a plus d’une raison de nous toucher. Autant que notre âme humaine, elle émeut notre âme française. La musique, une musique vraiment nôtre, illustre ici non seulement un récit de notre histoire, mais un paysage de notre patrie et même de notre cité. Français et Parisiens, mes frères, ce que chante la fameuse ritournelle d’altos qui conduit le cadavre de Comminge, c’est notre fleuve natal, c’est notre Louvre, c’est notre vieux Paris, cachant dans ses brouillards les querelles et le meurtre de ceux qui furent avant nous, comme nous ses enfans. Et tout cela fait du Pré aux Clercs un de ces