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la musique a su rendre avec le même bonheur l’esprit de la comédie et le sentiment de l’histoire. Egalement éloignée de l’opérette et du mélodrame, elle n’a pas plus réduit le sujet et les personnages, qu’elle ne les a grossis ou chargés. Sans avoir besoin d’un air, d’un de ces fameux, trop fameux « airs de princesse, » en quelques mesures éparses comme au hasard, Hérold esquisse une silhouette féminine et royale. Quant à Bernard de Mergy, le récit de son entrevue avec Charles IX est admirable, non seulement de douleur et de colère maîtrisée, mais d’élégance patricienne et de juvénile fierté. On dirait une « relation » d’ambassadeur, et d’un ambassadeur de vingt ans. Enfin, si nous parlons de la mascarade menée par Cantarelli, la musique qui l’accompagne n’a certes rien de commun avec celle qu’on faisait à Florence, au XVIe siècle ; il semble pourtant, à l’entendre, tant elle est vive et légère, que sur le Louvre des Valois et des Médicis un souffle d’Italie a passé.

Musique de caractères, ou de mœurs, et même d’histoire, la musique du Pré aux Clercs, en vraie musique d’opéra-comique, est aussi d’action et de mouvement. S’agit-il d’assurer, à la faveur de la mascarade, l’enlèvement d’Isabelle par Mergy, un trio pétillant s’engage entre Isabelle elle-même, la petite reine et Cantarelli tremblant ; l’orchestre et les voix, — des voix également expressives et mélodieuses, qui parlent et chantent à la fois, — rivalisent d’esprit et d’entrain ; l’intrigue est menée par les sons autant que par les paroles, et c’est la musique elle-même qui croise les fils de la plus vive, de la plus amusante comédie. Comédie spirituelle ici, mais ailleurs et presque partout sentimentale, baignée par la vague mélancolie, par la tristesse attirante dont la figure d’Hérold, plus que celle de tout autre musicien de l’opéra-comique est enveloppée. Était-ce le pressentiment de sa carrière trop brève et de cette mort hâtive qui fait dire à l’un de ses biographes : « Il n’y eut en lui d’incomplet que sa vie ? » Etait-ce plutôt une influence de race ? Hérold naquit à Paris, mais d’une famille alsacienne. Il était originaire de la « France allemande, » a dit un autre biographe, qui ne croyait pas, hélas ! dire ou prédire si vrai. L’ombre de la Sehnsucht allemande effleure telle ou telle page de Zampa et jusqu’à la ritournelle ou la cadence de l’innocente barcarolle de Marie : Batelier, dit Lisette, je voudrais passer l’eau. Mais sur le Pré aux Clercs le nuage s’épaissit et pèse plus lourd. Dès le début de