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et de verve, il l’est, autant que par la facture musicale et scénique, par le sentiment très spirituel et très juste de la réalité.

Réaliste, la Dame Blanche l’est encore par des traits profonds et d’une manière qu’on pourrait presque, si l’on ne craignait le cliquetis des mots et leur antinomie apparente, qualifier d’idéale. En cette aimable et touchante comédie lyrique, le personnage le plus vivant et le plus vrai de tous en est peut-être le plus modeste, le plus éloigné de la superbe des héros d’opéra, le plus proche de la réalité familière, et familiale aussi. Vous avez déjà reconnu la pauvre servante à cheveux blancs, qui pleure, en tournant ses fuseaux, l’enfant qu’elle a vu naître et qu’elle croit à jamais disparu. La musique a su la représenter tout entière. Quelques mesures (au début du trio du second acte) ont suffi pour imiter sa démarche empressée et chevrotante. En deux strophes, toute son âme, fidèle, triste et tendre, s’est exhalée. On rapporte que Boïeldieu trouva les couplets : Tournez, tournez, fuseaux légers ! en regardant filer sa vieille domestique. Nous allions écrire : sa « vieille bonne, » ou plutôt nous l’écrivons. Il ne faut pas d’autres mots que ceux-là, et c’est assez d’avoir exprimé tout ce qu’ils renferment, l’un d’années et l’autre d’amour, pour rendre une humble chanson immortelle deux fois, comme la poésie et comme la vérité.


IV

Le troisième chef-d’œuvre. — nous ne parlons que de la date, non du mérite, — le troisième chef-d’œuvre de l’opéra-comique est le Pré aux Clercs (1832). La part des humbles ou des petits y est réduite, et tous les personnages, hormis Girot le gentil cabaretier et sa femme Nicette, sont ici gens de cour. Mais la dignité du sujet n’altère en rien l’aisance, le naturel du style, et l’un des charmes du Pré aux Clercs tient à l’union d’une simplicité parfaite avec une exquise distinction. Romantique autrement que Richard Cœur de Lion et la Dame Blanche, mais romantique aussi ; tiré de la Chronique du règne de Charles IX, contemporain d’Henri III et sa cour, l’opéra-comique d’Hérold n’a pas la sécheresse du roman de Mérimée ; du drame d’Alexandre Dumas il n’a pas davantage l’emphase et, comme disait Théophile Gautier, le paroxysme.

En cet exemplaire achevé de la comédie musicale historique,