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exempt de mièvrerie et de mignardise. C’est une chanson vraiment populaire, très française et même gauloise à la fin, une robuste chanson de labour et de plein vent, que les couplets du troisième acte : Quand les bœufs vont deux à deux. Au début du premier acte, la cinquantaine du père et de la mère Mathurin forme un délicieux tableau de véritable opéra-comique. Pour en goûter — par antithèse — l’esprit, ou le sentiment et le style propre, il suffit d’évoquer le souvenir d’une scène à la fois analogue et très différente : le revoir douloureux du berger Balthazar et de la maman Renaude se rappelant l’un à l’autre d’aussi vieilles, mais plus tristes amours.

D’une poésie moins poignante que la musique de l’Arlésienne, la musique de Richard a cependant sa poésie. Poésie d’amour, dont la sérénade mélancolique de l’Amant jaloux et l’air attendri de Zémire et Azor : « Du moment qu’on aime » avaient été les premiers soupirs, dont la cantilène adorable de Laurette : « Je crains de lui parler la nuit, » est de nouveau l’expression furtive, mystérieuse et vaguement troublée. Poésie d’amitié, que la célèbre romance de Blondel élève jusqu’au lyrisme et sur le sommet peut-être le plus haut, le plus pur où le génie de l’opéra-comique ait atteint. Poésie romantique aussi, que les contemporains ont eux-mêmes reconnue et signalée. Le double parfum des choses passées et des choses lointaines embaume la légende du roi chevalier et de l’écuyer troubadour. Ce n’est pas le nom seul du « sultan Saladin » qui donne à certains couplets de Blondel (fin du premier acte) une saveur qu’on pourrait déjà qualifier d’exotique : c’est le mode mineur, c’est telle ou telle cadence, c’est l’allure générale du morceau ; et quand vient la coda tumultueuse, alors il semble qu’un souffle d’Orient apporte un écho de guerre, et de la guerre sainte, sous la fenêtre du cachot où l’univers entier, sauf un serviteur fidèle, oublie un roi prisonnier.

Enfin il est une dernière poésie, alors anticipée et comme prophétique, mais qui fait aujourd’hui de Richard Cœur de Lion la relique d’un passé plus proche de nous que le moyen âge, et plus touchant. Ce chef-d’œuvre d’un genre aimable parut en 1784, à la veille de terribles jours. Il fut l’hommage suprême et comme l’adieu de la musique à la royauté. Les contemporains ne pouvaient ainsi l’entendre. Louis XVI ne craignait rien quand ses gardes du corps, buvant à lui dans leur