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d’une âme encore plus grande, le témoin de plus sublimes transports. Dans l’air — admirable pourtant — de Richard : Si l’Univers entier m’oublie, nous entendons la plainte, magnanime et vraiment royale, d’un homme qui souffre, mais d’un seul. Il semble que l’air de Florestan exhale la douleur de l’humanité tout entière. Tel est, encore une fois, le signe le plus sûr où se reconnaissent les personnages de l’opéra-comique français. Ils sont eux-mêmes ; ils le sont avec vérité, parfois avec grandeur. Mais ils ne sont pas davantage. Individuels, particuliers et comme concrets, ils ne s’étendent ni ne rayonnent au dehors. Leur valeur de représentation n’est point universelle. Nous ne sommes jamais entraînés avec eux ou par eux dans ces régions de l’âme ou de l’être, profondes, ou plutôt sans fond, et sans bornes, où tout, souffrance et joie, nous est commun à tous. Quand il signalait dans l’opéra-comique l’élément « purement humain, » Alfred de Musset oubliait trop de marquer ce que cette humanité pure y comporte de restrictions et de relativité. C’est cela qu’Henri Heine a voulu dire par ces mots « une poésie sans le frisson de l’infini, » et nous n’entendions pas nous-même autre chose, en assurant tout à l’heure que le symbolisme est, entre tous les caractères de l’art, celui dont l’opéra-comique manque le plus.


II

Modération ou « tempérament, » optimisme souriant, mélange du chant et de la parole, voilà donc l’essence et le fond même du genre. Sur ce fond permanent (mais non pas immobile) ont souvent passé des teintes légères et changeantes. Pastoral, ou paysan, sensible, romanesque, romantique, réaliste même, l’opéra-comique a été tout cela tour à tour, quand ce n’était pas ensemble, et dans un abrégé de son histoire on voit en quelque sorte, sous les caractères généraux, les caractères accessoires évoluer aussi.

Le mot d’opéra-comique apparaît pour la première fois en 1715. Il désignait alors les parodies d’opéra (dans l’espèce un certain Télémaque de Lesage et Gilliers). Quant à la chose même, ou au genre, issu des spectacles de la foire, on sait comment il fit ses premiers pas, et que d’obstacles, de pièges, la Comédie-Française et l’Opéra semèrent à l’envi sur son