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Ces derniers, en effet, que deviennent-ils ? En général, ils disparaissent du voisinage de l’établissement ; mais le département est grand, la France encore plus. Entre la maison de travail de l’Yonne dont ils ne veulent pas et celle de la Côte-d’Or ou de la Nièvre qui ne leur plaît pas davantage, ils ont toujours la ressource de dire qu’ils se rendent à l’une ou à l’autre. Plus donc on multipliera ces asiles, plus on donnera aux mendians et aux vagabonds de prétextes et d’excuses, si on s’en tient à cette méthode, sans lui donner de sanction et de correctif ! Sans doute, en dressant au milieu du chef-lieu cet épouvantail d’un travail imposé comme paiement de l’hospitalisation temporaire, on élimine de ses rues et de sa banlieue immédiate les sujets les plus dangereux ; mais enfin on ne les supprime ni on ne les amende. Ils s’en iront donc ailleurs d’autant plus volontiers que les circulaires ayant tant recommandé de les ménager, de ne les arrêter que si on a la preuve que leurs quatre sous ont été volés par eux quelque part, valent pour tous les points du territoire. Ils fuient donc la ville où il leur faudrait, soit accepter une tâche, — ce qui leur serait dur, — soit la refuser ostensiblement, ce qui permettrait de les noter et de les compter plus facilement. Là où ils passeront, ils glisseront à travers une police désarmée par la propagande de ces utopies socialistes à laquelle s’emploient tant de gens, depuis les maires ambitieux et flatteurs de la démagogie, jusqu’à tel ministre de la Justice. On n’en saura donc pas le nombre, et le compte général de la justice criminelle, qui n’aura pas été mis à même de les faire figurer dans ses colonnes, célébrera une diminution du vagabondage, qui sera une pure illusion.

Ceci n’est pas du tout une hypothèse. Je causais un jour avec le distingué préfet du Pas-de-Calais de l’organisation justement vantée que son département avait adoptée contre les mendians et les vagabonds, de la bonne tenue de son dépôt, du travail qui s’y effectuait ; mais je lui demandais où était la sanction pour ceux qui abusaient ou n’usaient pas de ces ressources. Il me répondit : « La sanction s’opère d’elle-même, car ceux-là quittent le département. » Soit ! La sanction existe donc pour le Pas-de-Calais ; mais, pour qu’elle se fît sentir dans l’ensemble du pays, il faudrait deux choses. La première serait sans doute que semblable organisation existât partout ; mais la seconde serait à coup sûr, qu’au refus de l’assistance par le travail fût appliquée une