Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ses premiers dires. De pareils faits se passent de commentaires : nous n’en ferons aucun. Il suffit de répéter que M. le ministre de la Guerre en avait connaissance, et que cela ne l’a pas empêché de réintégrer M. Peigné. Dès lors, si M. Guyot de Villeneuve recommence ce qu’on a appelé la campagne des fiches, à qui en reviendra la faute ? Dans une conversation avec un rédacteur du Temps, M. Guyot de Villeneuve a déclaré reprendre sa liberté en ajoutant qu’il en ferait l’usage qui lui paraîtrait le plus convenable. Il est libre, en effet. Rien ne le retient du côté du ministère. Nous ne lui conseillons pourtant pas de rouvrir ses archives secrètes, si abondamment pourvues par le frère Vadécart, et de livrer à la publicité un second lot de documens. Les campagnes de ce genre ne sont pas sans inconvéniens. Elles entretiennent dans l’armée une insécurité générale, cruelle pour les calomniés, infamante pour les délateurs, mauvaise pour tous, et, certes, le moment serait mal choisi pour soumettre de nouveau notre corps d’officiers à une épreuve dont les traces sont si longues à effacer. Si le ministère a eu des torts que nous ne cherchons nullement à atténuer, ce n’est pas un motif pour s’en donner soi-même, et, parce que la vraie politique d’apaisement n’est pas pratiquée d’un côté, ce n’est pas toujours une excuse pour y manquer de l’autre. Pourquoi M. Guyot de Villeneuve ne serait-il pas plus sage que le gouvernement ?

Il ne serait d’ailleurs pas équitable de condamner celui-ci en bloc. Tous nos ministres sont solidaires sans doute, et les faiblesses de l’un, lorsqu’elles dépassent certaines limites, sont imputables à tous. La réintégration du général Peigné n’est pas le fait du seul M. Berteaux : c’est un acte de gouvernement que le Conseil des ministres n’a ni ignoré, ni désapprouvé. Néanmoins, l’inspiration générale du gouvernement ne saurait être jugée d’après un incident, et la colère grandissante des radicaux et des socialistes contre un ministère où ils ne trouvent plus tout à fait les mêmes plates complaisances que chez son devancier, doit entrer à nos yeux en ligne de compte. Il faut faire quelques différences entre les divers élémens qui composent le cabinet. Mais si tous ne sont pas également mauvais, pourquoi y en a-t-il qui le sont d’une manière aussi évidente, aussi provocante, aussi inquiétante ? M. Rouvier a eu, à plus d’une reprise déjà, l’occasion de réformer un ministère dont il est le premier, nous n’en doutons pas, à connaître les points faibles. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait, sinon parce qu’il y a aussi des faiblesses dans son propre caractère, et que, quelle que soit son intelligence des obligations qui lui incombent et des responsabilités écrasantes qu’il s’expose à encourir, sa volonté ne s’élève