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à peu son sang-froid, ses exigences, son arrogance, et elle cherche maintenant à réhabiliter ce que la conscience publique a flétri. Il y a des ministres qui en font partie et qui dépendent d’elle : que peut-on, dès lors, attendre d’eux ?

Le ministère répète volontiers qu’il veut l’apaisement. Nous ne le voulons pas moins ; mais, pour le réaliser, il faut en vouloir aussi les conditions. La première était de ne pas toucher à l’affaire des fiches. M. le ministre de la Guerre savait fort bien que le dossier de M. Guyot de Villeneuve n’était pas épuisé et que rien n’était plus facile que d’en faire sortir des documens nouveaux. M. Guyot de Villeneuve avait promis de s’en abstenir, mais à la condition qu’on s’abstiendrait d’autre part de tout ce qui pourrait ressembler à une provocation. Qui a manqué le premier à ce contrat, sinon M. le ministre de la Guerre ? Et M. Berteaux a encouru en cela une responsabilité d’autant plus lourde que, parmi tant d’autres faits qu’il n’ignorait pas, il connaissait en particulier ceux qui étaient encore à la charge de M. Peigné.

Dès le lendemain de la réintégration de cet officier, une pièce jusqu’ici inédite a vu le jour : il en résulte que le général Peigné était en rapports personnels avec un journaliste qui calomniait et injuriait les officiers d’un des régimens placés sous ses ordres, et avec un sous-officier pourvoyeur de ces calomnies et de ces injures. Les officiers qui en avaient été victimes demandaient l’autorisation de faire un procès au journaliste : on pense bien que le général Peigné d’abord et le ministre ensuite, — c’était le général André, — ont refusé l’autorisation. Mais ce n’est pas là qu’est la gravité de l’affaire. Elle est dans le fait qu’au moment même où il était censé poursuivre une enquête impartiale sur les plaintes à lui adressées par les officiers diffamés, le général Peigné restait en relations avec l’écrivain diffamateur. Celui-ci, après en avoir reçu l’assurance, écrivait au sous-officier qu’il n’avait rien à craindre, et que, s’il n’avait pas « la frousse, » s’il persistait jusqu’au bout dans ses allégations mensongères, non seulement il n’en éprouverait aucun mal, mais encore qu’il recevrait de l’avancement. Le misérable a pourtant eu la « frousse » et, au cours de l’enquête, il a déchargé les officiers qu’il avait d’abord essayé de compromettre. La lettre du journaliste est entre les mains de M. Guyot de Villeneuve qui n’a pas hésité à la publier. Ainsi, voilà des officiers dont l’honneur était placé sous la sauvegarde de leur chef : malheureusement pour eux, ce chef était le général Peigné, et celui-ci, pendant qu’il se livrait pour la forme à une fausse et perfide enquête, encourageait en dessous le délateur et lui faisait promettre des faveurs s’il persistait