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rapports avec moi. Aussi bien m’a-t-on déjà dit que, le printemps passé, il a parlé de moi avec enthousiasme. Il me prie de saluer Gœthe, en son nom. Tu ne peux pas te figurer quelle considération cela me donne, d’être ainsi familier avec Gœthe ! Et mon livre, d’autre part, me réserve encore bien des joies ; il va me procurer l’amitié des premiers hommes de l’Allemagne. » Il raconte qu’il est invité à la table de Gœthe, et que celui-ci daigne même le recevoir en manches de chemise. « A table, il me donne des choses de sa propre assiette. Quand je viens le soir, il fait apporter une bouteille de vin. Le vieux conseiller Meyer ne boit rien ; le chancelier Muller ne prend que de l’eau sucrée. Et ainsi, Gœthe et moi, nous sommes seuls à boire le vin. » Il apprend en même temps à la jeune fille que Gœthe lui a donné des épreuves à corriger, ou d’anciens manuscrits à remettre au point. Toutes les heures qu’il passe chez soi, il les dépense à travailler pour Gœthe ; et l’hiver s’écoule, le printemps arrive, sans qu’il puisse même trouver quelques jours pour aller à Hanovre, près de sa fiancée. « Le mois prochain, j’espère bien pouvoir venir, écrit-il le 16 avril 1824, si seulement je puis quitter Gœthe et que je n’aie point, pour lui, un travail en train. »

Au lieu de venir à Hanovre, quand il peut s’échapper de Weimar, il se rend à Francfort, toujours sur le conseil de Gœthe. Il y loge dans la meilleure auberge, et fait part à sa fiancée des hommages que lui prodiguent tous les amis de son illustre maître. Ou bien, pour la consoler, il lui transmet ses impressions de touriste. « Les servantes qui reviennent du marché portent leurs provisions sur la tête, dans des paniers. J’ai visité le marché aux légumes ; je me suis cru à Hambourg : des deux côtés de la rue, une telle abondance de paniers de légumes que l’on peut à peine passer. Des pois, des raves, et des choux en quantité énorme. D’innombrables corbeilles de fraises et de cerises, parfaitement mûres… En revenant de Bornheim, j’ai rencontré un troupeau de vaches brunes, mais si grandes, si belles, et si lourdes que, de loin, vraiment, je les ai prises pour des bœufs. Et le fait est qu’elles avaient, toutes, la tête et le cou d’une grosseur admirable. »

Pour consoler sa fiancée, et pour lui faire prendre patience, il lui envoie un beau buste de Gœthe : ce sera le premier objet d’art de leur futur ménage. La jeune fille lui écrit que « le buste a une expression très noble et très vénérable, » et qu’elle va le placer à l’endroit le plus en vue du salon familial. Elle a commandé une console, pour le soutenir, et aussi un globe de verre, dont elle le couvrira. « En attendant, par crainte de la poussière, je l’ai caché sous une toile mince : car