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argumens contre les chemins de fer, en faveur des diligences et des cochers : Qu’allez-vous faire de ces malheureux ? On en a fait des mécaniciens.

Vos objections ont la valeur de votre appréciation de la concurrence : vous dites textuellement page 282 : « Cette concurrence universelle n’est-elle pas une cause perpétuelle d’antagonisme, de rivalité, donc de guerre ! »

Voyons, mon cher directeur vous avez des rivaux, je pense, et des concurrens. Est-ce que vous vous battez avec eux ? Est-ce que le caractère même du progrès n’est pas de substituer la lutte pacifique à la violence ? C’est toujours la lutte, mais ce sera de moins en moins la guerre.

Et quant aux misères dont vous vous prévalez pour craindre nos innovations, elles pourraient être au moins atténuées, si le plus clair des ressources des grands États ne passait pas à construire des casernes et à renouveler indéfiniment un matériel de guerre aussi vite démodé que fabriqué. Et vous écrivez encore ceci contre l’Union européenne : Qui croira que l’Europe y gagnerait ? Vous ne voyez pas que toutes ces forces, toutes ces ressources gaspillées pourraient s’employer à produire plus d’activité, plus de richesse, plus d’hygiène, plus d’instruction, plus d’art, plus de beauté et plus de bonté ? Vous ne voyez pas que toutes ces richesses qu’on pourrait créer seraient elles-mêmes créatrices de salaires, de bien-être, d’ordre et d’apaisement ? Vous ne voyez pas que nos colonies, que vos amis nous poussent à multiplier, auraient enfin les hommes, les capitaux qui leur manquent et cesseraient de n’être ouvertes qu’au surplus des populations étrangères ; elles profiteraient de la conciliation que nous réclamons entre colonisateurs et indigènes, cette conciliation qui serait leur plus sûre défense et que j’ai définie depuis vingt années ici même et dans mon ouvrage sur la Tunisie ; c’est alors qu’elles deviendraient ce qu’elles peuvent être : des sources de prospérité, des foyers de civilisation au lieu d’être trop souvent des sources de sacrifices et de conflits.

Mais c’est assez ; je sais trop bien que mes efforts n’arriveront pas à vous convaincre ; je ne me fais pas d’illusion ; j’ai rédigé cette réponse pour la satisfaction de mes collaborateurs et de mes amis et pour éclairer la conscience de vos lecteurs impartiaux. Cela fait, je sais que vous ne me concéderez rien. Moi qui ne désespère jamais, je désespère de vous montrer le chemin de Damas.

Allez, cher Monsieur, continuez votre résistance, demeurez