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Russie, — qui n’a pas pu rester fidèle à son programme pacifique, — ce que la guerre moderne réserve de surprises aux politiques de la vieille école, et les ruines qu’elle accumule même autour du vainqueur, sans parler des représailles qu’elle engendre ?

Vous m’opposez l’exemple de l’Alsace-Lorraine ; il se retourne contre vous. Tous les dangers, toutes les charges de l’anarchie européenne ont leur origine dans le conflit franco-allemand ; la paix armée en est la conséquence directe ; elle a fourni au socialisme l’un de ses principaux argumens. En s’armant jusqu’aux dents, sous prétexte d’être invincibles, les gouvernemens préparent leur ruine. — C’est précisément, direz-vous, ce que comprenaient en France les partisans de la revanche ! — Soit, mais alors nos militaristes, qu’ont-ils fait pour la réalisation de leur rêve ? Là éclate encore leur inconsistance. Ont-ils profité du moment où les flottes et les armées russes étaient intactes pour prendre cette revanche qu’ils nous accusent de sacrifier ? Non, ils n’ont rien fait ; ils se sont tournés contre l’Angleterre.

Et la Russie, de son côté, les a-t-elle encouragés à reprendre nos provinces perdues ? C’est encore là ce que l’on refuse de voir. Tandis que nous n’utilisions l’alliance que pour nous gonfler au regard de nos voisins, les Russes étaient plus pratiques ; ils convoquaient la conférence de La Haye ; ils proposaient le désarmement. Ils le proposaient au monde entier sans même nous avoir prévenus. En d’autres termes, ils proposaient de consacrer définitivement le statu quo, c’est-à-dire le traité de Francfort. Il est vrai que cette initiative du désarmement, — car il s’agissait bien alors, en 1898, de désarmement et non pas seulement d’arbitrage, — cette initiative rencontra les résistances que l’on connaît et fut par la suite abandonnée, sinon répudiée, mais elle n’en a pas moins été prise. Il ne faut donc pas prétendre que c’est la politique actuelle de la France qui tend à faire litière du passé.

Là encore j’ai formulé maintes fois toute ma pensée, sans restriction. J’ai dit que la politique de la revanche est une folie généreuse, — quand elle est sincère, — mais une folie, et qu’elle n’a même pas l’adhésion des populations annexées ; elle a conduit un trop grand nombre d’Alsaciens à s’expatrier, voilà tout ; je n’attends rien de la revanche ni de la victoire elle-même, sinon des flots de sang versés en pure perte dans une lutte monstrueuse, lutte désormais fratricide, l’Alsace ayant des fils dans les deux armées. Mais j’ai dit aussi, invariablement, et notamment à ceux des Pacifistes qui m’ont consulté, j’ai dit que l’oubli n’était pas plus possible que la revanche, que l’oubli serait une solution non seulement indigne, mais impraticable,