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famille. Prenez garde ; toutes ces idées en France sont respectées, mais plus elles sont respectées, plus nous détestons l’abus qu’on en fait pour le service de telle ou telle cause. Nous respectons la Patrie, mais nous méprisons le Faux patriotique. Je vois, pour mon compte, dans l’incessante lutte politique qui fut un des enseignemens de ma vie depuis dix ans, je vois ce que vaut la morale ou la religion, ou l’esprit de famille de vos professeurs de patriotisme ; je les vois à la Chambre et dans leurs journaux rivaliser à qui répandra parmi nos populations l’alcoolisme et nous accuser d’indifférence à l’égard des bouilleurs de cru ; — c’est le dernier cheval de bataille de ces paladins ; — je vois la corruption, la pornographie triomphant grâce à leur indulgent scepticisme ; je vois que, si on les laissait faire, ils nous prépareraient pour sauver la France, des générations d’alcooliques, de tuberculeux et d’érotomanes. Ce patriotisme n’est pas le mien, ni celui de mes amis. Nous voulons une patrie, certes, mais non pas au niveau rigide que vous prétendez lui assigner ; nous voulons une patrie qui s’améliore, une patrie plus pure, plus heureuse, plus humaine, plus éclairée ; nous voulons une patrie assez vivante, assez forte, pour être ouverte à côté des autres patries ouvertes ; nous voulons, non pas la suppression, mais l’association des patries. L’idée de patrie évolue comme tout ce qui vit ; vous l’étoufferiez en la maintenant immuable au milieu des transformations universelles. Oseriez-vous empêcher les individus de se rapprocher ? Trouvez-vous que l’association des familles et des personnes humaines soit un danger ? Non ; vous y voyez, sans doute, une garantie de liberté, de sécurité. Pourquoi n’en serait-il pas de même de l’association des peuples ?

Et de quel droit, vous catholique, m’attaquez-vous quand je proclame que cette solidarité, ces associations de peuple à peuple sont un bien ? C’est toute la doctrine chrétienne, c’est la base de toutes les religions, de toutes les morales que vous attaquez ; ce n’est pas à moi, c’est à saint Paul, c’est à Jésus-Christ qu’il faut vous en prendre. Que signifient vos anathèmes et pourquoi nous dire : on ne peut-être à la fois un bon Français et un bon Allemand, un bon Européen et un bon Américain, ou un bon Asiatique ? Qui vous demande rien de tel ? Quia jamais demandé à un homme d’abandonner sa famille sous prétexte qu’il s’allie à une autre famille ? En supposant que vous ayez une fille et qu’elle épouse un de mes fils, ne deviendrait-elle pas la mienne sans cesser de rester la vôtre ?

Croyez-vous vos lecteurs assez naïfs pour se laisser égarer par de tels sophismes ? Et si vous m’opposez M. Hervé qui n’est pas des