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de l’idolâtrie de la force ; répandez l’esprit de désarmement. Et alors il deviendra possible de parler sérieusement de réduction graduelle et simultanée des charges militaires. Ou peut-être, plutôt, sans qu’il soit besoin d’en tant parler, cette réduction se fera-t-elle tout doucement et d’elle-même, comme s’est perdue, chez nos grands-pères, avec l’habitude de dégainer à tout propos au coin de chaque rue, l’habitude de sortir l’épée au côté.


Diminuer, donc, le mal ; le diminuer, s’il est possible, par une action persistante ; faire comprendre aux gouvernemens et aux peuples, el en particulier aux hommes qui, comme vous, monsieur, par la parole et par la plume, peuvent, sous leur responsabilité, répandre la lumière ou épaissir les ténèbres, qu’il y a là pour tous une tâche difficile, mais une tâche glorieuse à remplir ; dire, non pas comme vous nous le prêtez, qu’il n’y a qu’à avoir un peu de bonne volonté pour supprimer demain et à tout jamais les luttes douloureuses des nations, mais que, avec beaucoup de bonne volonté, beaucoup de travail, beaucoup de persévérance, on peut graduellement réduire la part toujours trop considérable de nos égaremens, de même que, sans prétendre à faire disparaître toutes les maladies et tous les sinistres, on peut, par la science, par la prévoyance, par l’assurance et par la bonne conduite, en diminuer les ravages ; affirmer enfin, comme vous le dites vous-même en terminant, qu’il n’est pas interdit à l’espèce humaine de chercher à améliorer sa condition, et que le meurtre, la spoliation et le pillage ne sont pas l’idéal qui lui est proposé par la morale religieuse non plus que par la morale laïque : voilà, monsieur, l’ambition de ceux dont vous dénoncez, avant de vous y rallier à demi, la pernicieuse propagande.

Cette ambition, quelque cruel qu’il leur paraisse trop souvent de la voir méconnue et travestie par des hommes dont le concours leur serait le plus précieux, ils n’y renonceront point ; et, loin de les arrêter, les injustices dont ils auront à gémir ne feront qu’exciter leur zèle et qu’entretenir leur constance. Mais elle n’est point aveugle ; ils Bavent combien la route est longue. Et elle n’est point présomptueuse ; ils savent, sans qu’on ait besoin de le leur rappeler, combien d’efforts avant les leurs ont été faits par de plus grands et de plus méconnus. Il leur suffit de penser qu’à leur tour, à une heure moins ingrate, dans une Europe (en dépit des apparences) moins divisée, et grâce à cette solidarité non seulement plus continue et plus étroite, mais plus visible, qui se dégage du mélange incessant des choses, des idées et des