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Je ne chercherai pas, ce serait trop facile, à démontrer, combien sont peu solides vos argumens tirés de la difficulté de faire vivre, en cas de réduction des arméniens, les hommes qui ne seraient plus sous les drapeaux, non plus que de l’intérêt des industries entretenues par la guerre. Comme, avec les jeunes gens libérés ou laissés dans leurs foyers, on y laisserait les millions qui les font vivre à la caserne ou en campagne ; et comme de plus ces jeunes gens, maîtres de faire pour eux-mêmes et pour leur famille emploi de leurs facultés et de leurs bras, seraient à même de s’entretenir par leur travail, au lieu de continuer à coûter à la société, il n’y aurait évidemment ni surcharges ni troubles économiques. Et probablement nous n’aurions pas à nous inquiéter de leur sort. Il est permis de croire qu’ils ne s’en plaindraient point non plus. Je ne suppose pas davantage qu’il fût t’es nécessaire, le jour où, par le progrès de la sagesse commune, on n’aurait plus besoin d’autant de canons, d’obus, de sabres et de capotes d’équipement, de maintenir l’effectif sur le pied de guerre afin de continuer à fournir des commandes aux fabriques habituelles de ces objets. Elles sauraient bien devenir des industries pacifiques au lieu d’industries guerrières, et, dans une petite, trop petite proportion, la célèbre prophétie d’Isaïe commencerait à se réaliser. Les agens de mort se transformeraient en agens de vie.

Mais ce jour, hélas ! n’est point venu, bien que quelques lueurs d’une aube encourageante aient commencé à se montrer à l’horizon. L’heure est lointaine encore de la pleine lumière ; ce n’est pas moi, monsieur, et pas même vous peut être qui la verrons. Et c’est pourquoi il n’est vraiment pas sérieux de s’obstinera nous accuser, malgré bien des démentis, de vouloir jeter bas du jour au lendemain tout l’attirail militaire, et livrer nos patries comme à plaisir à toutes les entreprises dont on les croit menacées. Nous savons bien que rien ne s’improvise, et que c’est pas à pas que la tortue réussit à devancer le lièvre ; courir et tomber, ce n’est pas le moyen d’arriver.

Aussi, lorsque, sous la première impression de la célèbre circulaire du 12 août 1898, on parlait partout de désarmement général, et déjà on voyait les canons et les obus déposés, pour être érigés en trophée de paix, aux pieds des plénipotentiaires appelés à La Haye, c’est nous, les pacifiques, au scandale de beaucoup, qui avons fait nos réserves. Avant de songer à licencier les armées, disions-nous, il faut d’abord se mettre en état de n’avoir plus le même besoin ni la même envie de se servir des armées. Rendez possible et habituelle la solution juridique et amiable des conflits ; faites l’éducation des peuples en les désabusant