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téléphone au centre. Il me prie d’attendre, quelques minutes, et le docteur va venir. En effet, le voici qui sort, là-bas, d’une des maisons de briques et me rejoint. Il me dit que le bureau du M. A. B. lui a annoncé ma visite pour ce matin, et, tout en causant sous le soleil qui darde, nous suivons le chemin tracé dans l’herbe du sol. Pas de jardin cultivé, le gazon est naturel et des petits pavots rouges et jaunes dressent de-ci de-là Leurs têtes claires, mêlées aux marguerites.

Nous approchons d’un pavillon bas dont l’usage m’est expliqué avec une certaine hésitation. C’est avec beaucoup de circonlocutions que le docteur W… me demande depuis quand je n’ai pas été vaccinée. « Deux ans. — Mais la vaccination a-t-elle réussi ? — Non, pas depuis ma petite enfance. — Alors, avant de pénétrer plus avant, je crains d’être obligé de vous prier de me permettre… » Charitablement, j’ai terminé sa phrase : « De me revacciner ? Si vous voulez. Je n’y ai aucune objection ! Le vaccin, au surplus, ne prend pas aisément sur moi. » Rassuré, le docteur a souri : « Ici, il prend toujours ! » Il a craint un refus. La loi anglaise qui prescrit la vaccination obligatoire à intervalles réguliers a, depuis quelques années, une restriction. Tout citoyen qui peut jurer que sa conscience lui interdit de se laisser vacciner a le droit d’esquiver la règle… Scrupules religieux, paraît-il. Quel respect singulier de la conscience individuelle ! Nous sommes loin des jours de Thomas More.

Nous entrons donc dans le petit pavillon consacré au vaccin. Là nous attend la directrice de l’hôpital, fort aimable. Une infirmière apporte le tube de verre, les accessoires nécessaires, et la petite opération s’effectue. Je remercie le docteur : « Ainsi, je vais rapporter en France un vaccin anglais, ce sera presque un souvenir historique ! » Et lui de s’excuser : « Mais non ! ceci est la vaccine Chaumié, marque française… Nous ne pouvons pas nous servir de vaccine anglaise, elle ne vaut rien. » Et je me croyais au pays de Jenner !

Mais les préliminaires de ma visite ne sont pas terminés. Il faut revêtir une blouse. Le vêtement de toile bise, ample et long, m’enveloppe des pieds à la tête… presque inclusivement. Cela ne suffit pas. On m’a priée d’ôter mon chapeau, et voici qu’une pièce de même toile, coulissée en rond tout autour, vient m’enserrer le visage. Parfait, puisque les yeux me restent, — mais les oreilles sont prises !