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A dater de ce jour, sa direction ne s’exerce plus guère que sur des détails de ménage. Elle prend intérêt aux enfans, à leur santé, à leur éducation, mais elle souhaiterait de voir s’en accroître le nombre : « Je voudrais que vous ne fussiez pas content de n’avoir que deux enfans ; je vous en désirerais six. Vous auriez de quoi les rendre si heureux ! » A peine sont-ils hors des lisières, qu’elle s’emploie avec zèle à leur chercher un précepteur, et c’est le fidèle d’Alembert qui, sur ses injonctions, se met activement en campagne[1]. Bref, c’est une occupation continuelle de tous les incidens de la vie de son frère. On devine donc quelle est sa joie, quand, dans l’automne de 1770, les jeunes époux viennent faire un séjour à Paris. Le Journal d’Abel de Vichy, comme les billets qui nous sont conservés de Julie[2], témoignent que, pendant ces mois de voisinage, ils se retrouvent presque quotidiennement, dans la plus familière et la plus tendre intimité. Elle fait, par exception, trêve à ses habitudes, et ce sont des promenades, des visites en commun, des soupers avec des amis, de fréquentes parties de spectacles, où, malgré sa mauvaise santé, elle accompagne comme elle peut le couple provincial, afin de l’initier aux plaisirs parisiens. Toutefois, à ce métier, la lassitude vient vite, et au bout de quelques semaines on la voit s’efforcer, avec un médiocre succès, de mettre un peu plus de sérieux dans cette existence dissipée. C’est en ce sens qu’il faut interpréter ces lignes, où elle accuse spirituellement Abel d’avoir travaillé de son mieux à dégoûter sa femme du séjour de la capitale : « Je voudrais[3] la savoir (Mme de Vichy) arrivée à Montceaux[4], à se reposer des fatigues de Paris : je ne dis pas des plaisirs, car elle doit en être dégoûtée, tant elle s’en est donné ! Je meurs de peur que la vie active qu’elle a menée ne lui donne de l’éloignement pour Paris.

  1.  » J’ai déjà deux hommes en vue, écrit-elle, que M. d’Alembert connaît, et dont il vous répondrait, si cet arrangement avait lieu ; mais voici les questions préliminaires : Êtes-vous attaché à avoir un prêtre, de préférence à un séculier Assureriez-vous à cet homme une pension après l’éducation finie de vos enfans ? Et quels honoraires lui donneriez-vous pendant l’éducation ? Il faut aussi que vous me disiez dans quel temps vous le voudriez, parce qu’il y a tel homme qui ne voudrait pas attendre des années ?... Répondez à toutes ces questions, et comptez sur mon zèle et mon tendre intérêt. » (27 janvier 1771. — Archives de Roanne.)
  2. Archives du marquis de Vichy.
  3. Lettre du 22 octobre 1771. — Archives du marquis de Vichy.
  4. Propriété du marquis de Vichy.