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dans le même temps qu’il en faisait briller les beaux côtés aux yeux de la mère, il avouait à la fille qu’il était « très peu dans l’aisance pour le moment, » et que tout ce qu’il pouvait lui offrir c’était « la médiocrité dans la vie la plus restreinte à la campagne[1]. » Pour tout dire, il commençait à désespérer.

Autour de lui, on était dans la consternation. Mme de Lamartine écrivait sur son journal : « Tout est rompu. Alphonse est de retour ; la mère de la jeune Anglaise vient d’emmener sa fille à Turin pour l’éloigner de celui qu’elle paraît aimer. Cependant les jeunes gens s’écrivent quelquefois. J’ai bien de la tristesse. Mon mari tourmenté de notre gêne par suite des récoltes perdues et des dettes de son fils qu’il faut payer préalablement à tout mariage, pour ne pas tromper la famille à laquelle on s’unirait, parle de se retirer tout à fait à la campagne et de vendre sa maison de Mâcon. S’il en est ainsi, comment marierai-je mes deux filles qui me restent ? et qui viendra les rechercher au fond d’un pauvre village ? » On fut très triste à Milly pendant ce mois de novembre, et les dames de Lamartine versèrent d’abondantes larmes.


L’HIVER DE 1819. MISS BIRCH « TIENT FERME »

Quelle était pourtant l’attitude de la jeune Anglaise ? et devant l’opposition formelle de sa mère, allait-elle céder, renoncer à la lutte ? Ce qui pouvait le faire craindre, et qui augmentait l’inquiétude à Milly, c’est qu’on n’avait plus de ses nouvelles. Le fait est que sa mère avait eu soin de ne lui communiquer ni les deux lettres qu’elle avait reçues, ni la réponse qu’elle y avait faite. Mais il y a des choses qu’il est bien inutile de cacher aux jeunes filles : à force d’y rêver, elles les devinent. Aussitôt qu’elle eut découvert le danger qui compromettait son bonheur, Mlle Birch n’hésita pas à prendre nettement position et à déclarer que sa volonté resterait inébranlable. La correspondance va reprendre ; et cette fois les lettres de Lamartine ont un caractère de confiance et de simplicité qui leur donne un charme incomparable.


Milly, 22 novembre 1819.

Mademoiselle,

Tous mes chagrins ont été oubliés, le jour où j’ai lu que vos sentimens

  1. Lettre du 12 octobre, Milly, à Mlle Birch.