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vous voudrez et dans ce pays-ci surtout s’il vous est toujours cher ! Je ne veux m’occuper que de votre parfait bonheur, car tout le mien sera uniquement en vous ! Je serai ce que je suis, votre bien, votre possession, votre esclave, et mon bonheur sera dans tout ce que je ferai pour vous. Adieu. Adieu !


Samedi 21 août.

Adieu ! Je partirai sans vous revoir, il le faut, je n’aurais pas le courage de vous faire de froids adieux devant tout le monde, et nous ne devons pas encore nous trahir tout à fait, peut-être ne me suis-je que trop trahi hier au soir, et n’a-t-on que trop lu ma douleur dans mes yeux ; mais qu’importe ? il faudra bien qu’ils sachent tôt ou tard que je vous aime. Plutôt je pourrai avouer hautement cet amour et plutôt nous serons heureux ! Que votre dernière lettre était déchirante et qu’elle m’a fait mêler de larmes aux vôtres ! Que je me suis reproché d’avoir été si dur et si injuste ! Que j’aurais voulu effacer par mes pleurs ces lignes qui vous ont affligée ! Cependant je viens de relire vos deux lettres précédentes, et en vérité elles ne sont pas bien, je veux les brûler celles-là. Que penseriez-vous, si je vous disais aujourd’hui : M. de Virieu n’approuve pas mon amour, tâchez de vaincre ses résistances, car elles pourraient me forcer de renonce ? une fois à vous ? Mais n’en parlons plus ! Brûlez aussi la mienne ! Celle du soir a tout réparé, je vous ai retrouvée tout entière. Et ce peu de mots, ces derniers mots que vous m’avez dits, vont rester gravés dans mon cœur jusqu’au retour !…

J’entrevois enfin l’avenir le plus doux et le plus riant, j’ai trouvé une âme qui répond en tout à la mienne ! qui sent comme moi, qui aime ce que j’aime ! et avec qui mon âme tout entière ne fera un jour qu’une âme ! Ce goût de solitude et de campagne que vous avez comme moi, cet ennui du monde et de son vuide bruyant, ce penchant pour la nature poétique, et pour les sentimens tendres et religieux, tout me répond d’une félicité sans nuages…

Les jeunes gens n’avaient pas eu beaucoup de peine à se mettre d’accord : il leur restait à entraîner leurs deux familles. Ce sera l’objet de longues et délicates négociations, où le candidat diplomate va faire son apprentissage. On entrait dans la période difficile.


MILLY. — LA SÉPARATION. TOUT EST ROMPU !

Lamartine était de retour à Milly dans les derniers jours du mois d’août. Son premier soin fut d’écrire à la marquise de Raigecourt, pour faire venir de Londres par son entremise ces renseignemens dont il avait besoin pour sa famille.

C’était à sa mère cette fois, — non pas à son ami Virieu, —