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J’ose vous supplier, mademoiselle, de ne pas juger avec sévérité la démarche à laquelle la nécessité me force de recourir, et de lire au moins cette lettre jusqu’au bout.

Je n’ai pu vous voir sans vous aimer, et chaque jour comme chaque parole a contribué, depuis, à fortifier en moi ce penchant d’abord involontaire, mais que la raison et la volonté approuvent également aujourd’hui. Je ne puis me résoudre à m’éloigner sans vous l’avoir au moins découvert ; je sais qu’il eût été plus convenable de commencer par en parler à d’autres qu’à vous, mais je sais aussi que, d’après la différence de religion et de patrie qui est entre nous, mes premières démarches auprès de Madame votre mère auraient été probablement repoussées au premier abord, et, comme le bonheur de ma vie dépend du succès de ces démarches, il fallait que je m’assurasse auparavant de vos propres sentimens, et que j’obtinsse de vous-même la permission de les entreprendre. C’est pour vous la demander, mademoiselle, que je vous écris dans ce moment. Je sais que vous ne consentirez peut-être pas à me répondre, mais permettez-moi du moins d’interpréter votre silence comme un consentement à mes désirs ! Si je puis me croire assez heureux pour que vous partagiez seulement en silence les sentimens que vous avez fait naître, rien ne me coûtera pour parvenir au terme de mes vœux que je pourrai croire les vôtres. Nous aurons sans doute des’ deux côtés des obstacles d’égale force, mais aucun obstacle ne peut être aussi fort que le sentiment qui me guide ; ce sentiment que j’ai connu une fois en ma vie n’a pu être arraché de mon cœur que par la perte de ce que j’aimais ; depuis ce temps j’ai vécu dans une parfaite indifférence ; mais je vous ai connue, j’ai trop apprécié en vous tant de qualités parfaites, tant de rapports entre nos goûts et nos sentimens, tant de perfections inconnues peut-être même à vous-même, pour ne pas sentir que je serais le plus heureux des hommes d’obtenir votre main et d’unir mes jours et ma destinée à la vôtre ! Ce sentiment intime, profond, raisonné, inébranlable m’aidera à triompher de tout, et quel que soit l’événement, il ne peut plus s’éteindre en moi !

Je m’arrête, j’en ai peut-être trop dit, mais je ne pouvais plus me taire. Non : vous ne me condamnerez pas, et si vous m’avez jugé vous-même avec indulgence, vous comprendrez mieux que personne la force du sentiment qui m’entraîne ! J’attends mon sort du premier regard qui suivra la lecture de cette lettre.

A. DE L.


Lamartine était à la veille de quitter Aix ; il n’avait pas voulu s’éloigner sans que les paroles décisives eussent été prononcées. Il avait compris que le bonheur était là : il ne voulait pas le laisser échapper.

La réponse fut telle que Lamartine le souhaitait. Mais les jeunes gens n’avaient plus devant eux que cinq ou six jours. Et il leur restait tant de choses à se dire ! C’étaient des difficultés à prévoir, des arrangemens à prendre pour l’échange des lettres,