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lui prédestinée : il y avait laissé des souvenirs de passion et des images de deuil, il allait y trouver une autre forme de l’amour et la promesse du bonheur. Celle qui les lui apportait était une jeune Anglaise, qu’il avait eu récemment l’occasion de rencontrer à Chambéry, qu’il avait peu remarquée, mais qui, elle, n’avait plus cessé de penser à lui.

Marianne-Elisa Birch était la fille unique d’un colonel de milice anglaise[1]. Mme Birch, depuis la mort de son mari, s’était entièrement consacrée à l’éducation de sa fille. A Londres, les dames Birch s’étaient liées de la façon la plus intime avec la famille de la Pierre, émigrée de Savoie. Elles accompagnèrent la marquise de la Pierre et ses filles, lorsque celles-ci revinrent s’installer à Chambéry. « Elles habitent toutes ensemble, est-il dit dans le Manuscrit de ma mère, une belle maison de campagne avec un grand jardin à l’extrémité d’un faubourg, à quelques minutes de Chambéry ; c’est le rendez-vous de la société distinguée et lettrée de cette jolie ville. On y dessine, on y peint, on y fait de la musique, on y monte à cheval ; c’est un petit canton d’Angleterre en Savoie. Césarine[2] y va quelquefois et son beau-frère, Louis de Vignet, l’ami d’Alphonse, très souvent ; il fait des vers et il les lit à ces demoiselles ; il leur a lu aussi quelques-uns des vers d’Alphonse qui ont paru bien à cette société ; on l’a interrogé sur son ami, dont il a fait un éloge exagéré, le comparant à un jeune poète anglais dont je ne sais pas bien le nom, mais qui écrit des poèmes fantastiques et mystérieux d’une grande vogue en ce moment. Il leur a promis de leur faire voir son ami, quand il passerait à Chambéry… Cela a été comme une rencontre de roman. » Mlle Birch s’était, sur sa renommée, prise d’enthousiasme pour Alphonse de Lamartine : elle l’admira passionnément ; c’est par là qu’elle commença de s’en faire aimer.

Etait-elle jolie ? A défaut d’une beauté véritable, — « don

  1. Elle était née en France et était, paraît-il, de race écossaise. On lit au contrat de mariage de Lamartine : Étaient présentes, « Mlle Marianne-Eliza Birch fille majeure de défunt M. William Henry Birch, en son vivant major commandant au service de Sa Majesté britannique, née dans la cy-devant province du Languedoc, baptisée dans la paroisse de Soho à Londres, demeurant à Chambéry dès environ deux ans — et Mme Christina Cordelia Reessen, veuve de M. William Henry Birch, fille de défunt M. Jones Reessen, née et domiciliée à Londres. »
  2. C’était la troisième et « la plus aimable » des sœurs de Lamartine. Elle avait épousé, cette année même, le comte Xavier de Vignet, sénateur à Chambéry.