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sur échecs. Retombé malade à l’entrée de l’hiver, Lamartine est obligé de venir à Paris, au mois de février 1819, pour se rétablir en se désennuyant.

Le fait est qu’à peine arrivé il se sent mieux. « Les nombreuses distractions, les courses obligées, les conversations de mon goût, les spectacles, les visites, l’absence de contrariétés, tout cela me soulage. » Ce qui l’arrache surtout au sentiment de ses douleurs physiques et de ses peines morales, c’est le murmure flatteur qui commence à s’élever sur son passage, depuis qu’il fait des lectures de ses vers. Accueilli dans la société la plus aristocratique, qui s’engoue de son talent, il conquiert une réputation de salon. Il n’est plus cet « intéressant jeune homme » dont Mme Charles parlait à Mounier comme d’un inconnu, et de qui la principale séduction était celle de sa jeunesse et de son beau visage. Son nom se répand, colporté par des amis enthousiastes. On fait cercle autour de lui chez Mme de Montcalm, chez la duchesse de Broglie, surtout chez Mme de Saint-Aulaire, dont le salon était une sorte d’hôtel de Rambouillet. « La sombre mélancolie de mes traits et le découragement complet de tous les plaisirs de mon âge inspiraient à tout le monde et surtout aux jeunes femmes de cette société une sorte de curiosité et d’intérêt pleins de réserve et de mystère qui ajoutaient beaucoup de prestige à mes vers. » Lamartine ne s’y trompait pas, et on comprend de reste que les imaginations féminines se soient exaltées pour ce jeune homme si beau, si triste et dont la mélancolie s’exprimait en plaintes si harmonieuses ! Il était fondé à trouver que c’était un « assez joli moment pour l’amour-propre. » Toutefois, s’il était réjoui dans son amour-propre par ces succès mondains, il était bien obligé de constater qu’il n’en tirait guère d’utilité. Une fois qu’il se retrouvait éloigné de Paris, et revenu de cet enivrement, il s’apercevait qu’il n’avait fait aucun progrès dans le sens d’un établissement sérieux ; et sa pensée reprenait son cours habituel.


AIX. — UNE RENCONTRE DE ROMAN

Dans les premiers jours du mois d’août, Lamartine arrivait à Aix-les-Bains avec Aymon de Virieu. Il s’était résigné à y faire une cure, quoiqu’il répugnât à revoir ce pays, qui lui rappelait « de trop pénibles souvenirs. » Mais cette vallée d’Aix était pour